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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

créature, presque aussi belle que Finette, avait tout au plus seize ans, le mulâtre était du même âge. On le tourna bientôt vers le soleil le plus ardent, une pierre fort lourde posée en travers sur sa tête. Là, durant l’espace de quatre minutes, le bras du commandeur le força de se baisser et de se relever successivement. Ses genoux fléchissant de lassitude sous ce fardeau, on l’attacha au poteau, la tête peu à peu inclinée sous la grande pierre, si bien que la sueur ruisselant de ses membres baignait le sable autour de lui. Vingt coups mesurés retentirent bientôt sur cette peau brune et luisante, que le sang ne tarda pas à marbrer de ses sillons rouges. Le col renfoncé dans les épaules sous l’impitoyable chapiteau qu’il soutenait, le mulâtre ne poussa pas un seul cri… Pour sa femme, elle ne put supporter aussi courageusement un pareil supplice… Aux cris horribles de cette malheureuse, Saint-Georges se sentit ému ; par un mouvement instinctif, Finette et lui se jetèrent dans les bras l’un de l’autre avec des larmes… Les lèvres de Finette tremblaient, celles de Saint-Georges étaient mouillées d’écume ; c’étaient deux esclaves de leur couleur qui venaient d’être frappés… Ce terrible retour sur lui-même semblait avoir éteint toute force au cœur du jeune homme… Finette et Saint-Georges se regardaient enfin comme deux naufragés suspendus à la même planche, une même condition de mort pesait sur eux. Cette exécution sinistre, si commune cependant aux colonies, ils venaient de la voir avec des sens plus sûrs, plus subtils, plus éclairés ! Sous la soie et la dentelle qui le couvraient, Saint-