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LA LIVRÉE.

à son cœur, comme il se sentit ému à la vue de cette place solitaire ! Il s’était adossé à l’entrée même du parterre, espérant que là, son air, son attitude, ne pourraient échapper à Mme de Langey… Un homme vint lui dire impertinemment qu’il n’y pouvait demeurer, et que les mulâtres devaient aller aux secondes.

— C’est la loi précise de la Comédie, ajouta l’homme, les blancs aux premières, les mulâtres aux secondes, les noirs aux troisièmes. Et il le prit par le bras.

Ce qui affecta le plus Saint-Georges, ce ne fut pas la brutalité de cet employé, ce fut la place qu’il lui désigna du doigt. Elle se trouvait juste du même côté que la loge de Mme de Langey, ce qui privait le mulâtre de la voir, lui qui n’était venu que pour elle. Durant tout ce mortel spectacle il eut le regard constamment attaché sur le bras de la marquise, qui de temps à autre effleurait les franges de la loge… Maurice, en ces momens d’absorbante contemplation, avait disparu entièrement de sa pensée…

— Ah ! je vous y prends, monsieur le voleur, murmura la voix d’un commandeur demi-ivre, vous allez sortir d’ici, dans un entr’acte, mon faux marquis, non pour recevoir des coups de lanière, car cela serait trop peu, mais pour essuyer le supplice réservé autrefois à la rébellion, dans les îles où j’ai vécu, le croc[1] rien que cela, on vous en détachera demain matin !

  1. Ce croc, ou poulie de fer, auquel on suspendait l’esclave, lui entrait dans les chairs sous les aisselles. On l’en détachait, pour certains cas, après peu de temps ; mais souvent aussi on