travail : ils passaient tout le temps à jouer ou à se faire bercer dans leurs branles. Quand ils étaient las de dormir, ils chantaient ; il fallait que la faim les pressât pour qu’ils sortissent du hamac. Des cases recouvertes des feuilles du palmiste avaient remplacé les somptueux palais d’Ovando ; la boisson des plus riches consistait en un peu d’eau aiguisée avec une pointe de tafia ; ils remplaçaient le pain par les patates, les vases d’émail par la poterie la plus humble. L’intérieur des maisons répondait à cette pauvreté, les fenêtres étaient sans vitres. Les habitans se traînaient comme autant d’ombres pâles par les carrefours et les rues ; une odeur infecte s’échappait de chaque grenier, où l’on ne montait que par une échelle. Parlant peu le jour, babillant la nuit, ce peuple livide, avorté, n’en roulait pas moins le papelito entre ses doigts minces ; conservant la moustache et l’épée des anciens jours, et préférant se battre dans une ruelle derrière la cathédrale plutôt que de remettre le combat au lendemain.
La vue de ces hommes ranima l’orgueil de Saint-Georges. Comme eux, il se sentait déchu de je ne sais quel rang auquel il devait prétendre. Il mûrissait cette pensée au feu des haltes de nuit, par les bois, par les rochers, au milieu des attaques dont la troupe se voyait l’objet ; car durant tout le cours de ce singulier apprentissage de liberté, Saint-Georges vit plutôt les gens de Tio-Blas traqués par les plumets jaunes qu’ils ne furent eux-mêmes les agresseurs.
La vallée d’Oya et peu après le Tombeau du Diable apparurent enfin à ses yeux ; ce fut seulement de nuit