seph Platon coulait donc une vie tranquille au milieu du coton, de l’indigo et du caffier, se livrant moins à la manie des spéculations qu’au bien-être, se nourrissant bien et jouissant de lui-même avec délices. Il rendait une fois par an le pain bénit à la paroisse de Saint-Marc, se montrait rarement chez le gouverneur, lutinait fort peu les mulâtresses et, à l’exception de celui qu’il appelait son élève, traitait les autres esclaves fort rudement. Il mettait à part sur ses économies, conservait les revenus de cette possession dont il était le gérant ; mais n’avait, il faut l’avouer, ni génie ni force pour l’amélioration. Il lui paraissait tout simple de rendre, une fois par an, ses comptes à M. de Lassis, ami de M. de Boullogne, lequel venait surveiller quelques-unes de ses propriétés dans l’île, mais sans appeler la sollicitude de cet inspecteur sur des progrès nécessaires aux ateliers. Depuis trois ans bientôt que Joseph Platon habitait l’Artibonite, il n’y avait guère d’autre société intime que son perroquet, Saint-Georges et le maître d’hôtel de la plantation, vieillard oublié au milieu de ces magnifiques possessions, délaissées elle-mêmes. Si Joseph Platon avait eu la moindre dose d’intrigue, il fût devenu bien vite un peu mieux qu’un simple gérant ; mais M. de Boullogne, qui s’y connaissait, en contrôleur général, avait su, nous l’avons dit, ce qu’il faisait en le choisissant.
Au sein de ce pacifique Eldorado, que n’avait encore agité aucun trouble, la maigre nature du gérant s’était donc heureusement implantée ; à part le chagrin que lui causait l’enlèvement de Mlle Rosette,