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Sur l’Avenue sans fin


Au grand Poète Émile Verhaeren.


Le ciel fangeux et bas, sur moi semblait avoir
En ce lugubre jour de malheur et de pluie,
Versé tout le fiel, toute l’écume et la lie
Dont reste inépuisablement vile et remplie
La creuse éternité de sa coupe, infinie.
« C’était à blasphémer ! » et je pleurais ce soir,
En traversant le bois tout noir.
Une apaisante brise avait chassé la pluie
Et je me mis à suivre, sans but ni vouloir,
L’avenue ombreuse et sans fin, qu’immense, double
Et longe le lac des reflets de son miroir.
Et pareils aux lueurs de mes yeux sous le trouble
De mon désespoir,
Vers moi, les regards du lac, vacillaient ce soir,
Comme aux suprêmes pleurs qu’un bon vent sèche ou cueille
Après l’orage, au bord d’un cil ou d’une feuille.
Je levais haut mon front plus triste de les voir ;
Mais, ô vision pire et d’un poignant pouvoir !
Auprès de l’eau plissée, avec le velours noir
De ses arbres, la gravité de sa pénombre
Et son doux ciel aussi ténébreusement clair
Qu’un corps de femme brune au fond d’un antre sombre,
La Nuit, à moitié dévêtue, avait cet air
De subit abandon et les souverains charmes
D’une veuve lasse qu’un sommeil de sa chair
Aurait au bord du lit surprise, à bout de larmes.