Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/121

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Célestine. De quoi, mon fils ? d’une douzaine d’aiguillettes, d’un cordon pour ton chapeau, d’un arc pour aller de maison en maison tirer des moineaux et faire les yeux doux aux linottes qui sont aux fenêtres, aux jeunes filles, je veux dire, innocent, à celles qui ne savent pas voler, tu m’entends bien. Il n’y a pas avec elles de meilleur entremetteur qu’un arc ; il donne entrée partout, sous quelque prétexte que ce soit. Bien malheureuse, ami Sempronio, est celle qui veut vivre honorablement et qui devient vieille, comme je le fais.

Sempronio, à part. Ô vieille rusée ! ô vieille pleine de malice ! ô gorge avide et avare ! elle veut pour s’enrichir me tromper comme elle trompe mon maître ! Elle ne fera pas bon profit ; je ne lui envie pas ce qu’elle gagnera : quiconque s’élève d’une manière honteuse tombe plus rapidement qu’il n’est monté. Oh ! qu’il est malaisé de connaître l’homme ! on a bien raison de dire qu’il n’y a ni marchandise ni animal aussi difficile. Cette vieille est fausse et mauvaise, le diable m’a poussé vers elle ; j’aurais mieux fait d’éviter cette venimeuse vipère que de m’en approcher : c’est ma faute ; mais qu’elle fasse sa provision d’une manière ou de l’autre, elle ne pourra nier sa promesse.

Célestine. Que dis-tu, Sempronio ? Avec qui parles-tu ? Tu viens là en me frottant les jupons ; pourquoi ne vas-tu pas plus vite ?

Sempronio. Je dis, Célestine, que je ne m’étonne pas que tu sois si changeante et que tu suives les traces de la plupart des femmes. Je pense que tu devrais différer ton projet. Tu vas maintenant à l’étourdie dire à Calixte ce qui s’est passé ; ne sais-tu pas qu’on ne fait grand cas que de ce qu’on désire beaucoup ? Ignores-tu que plus mon maître souffre, plus notre profit s’augmente ?

Célestine. Le sage change selon les circonstances ; l’ignorant seul ne change pas. À nouvelle affaire il