Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/134

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vous n’auriez pas si vous étiez négligent. Consolez-vous, seigneur, Zamora n’a pas été prise en une heure, et cependant les assaillants ne se sont pas découragés.

Calixte. Ô malheureux que je suis ! Les villes sont entourées de pierres, et les pierres renversent les pierres ; mais ma dame a un cœur d’acier. Il n’y a pas de métal qui puisse l’attaquer, il n’y a pas de trait qui y fasse brèche. Essayez de planter l’échelle au pied de ses murailles ; elle a des yeux qui lancent des flèches, une langue qui jette le reproche et le mépris ; elle est placée de telle manière qu’on ne peut pas même l’attaquer d’une demi-lieue.

Célestine. Taisez-vous, seigneur, l’audace d’un seul homme a causé la prise de Troie. Ne doutez pas qu’une femme ne puisse en soumettre une autre. Vous avez peu fréquenté ma maison et vous ne savez pas bien ce que je puis.

Calixte. À l’avenir, mère, je croirai tout ce que tu me diras, puisque tu m’as apporté un joyau tel que celui-ci. Ô glorieuse ceinture de cette taille angélique ! je te vois et je ne crois pas. Ô cordon ! cordon ! as-tu été mon ennemi ? Dis-le-moi. Si tu l’as été, je te pardonne. Les hommes qui ont le cœur bon savent excuser les fautes. Je ne le pense pas cependant ; si tu m’avais été contraire, tu ne serais pas venu si promptement en mon pouvoir, à moins que ce ne soit pour te disculper. Réponds-moi, je t’en conjure par la vertu de l’extrême puissance que ta maîtresse a acquise sur moi.

Célestine. Cessez cette rêverie, seigneur, car je suis fatiguée de vous entendre, et ce cordon est tout froissé de vos baisers.

Calixte. Ô malheureux que je suis ! quel bien immense m’accorderait le ciel si tu étais fait et tissu de mes bras et non de soie, comme tu l’es ! Quelle jouissance ressentiraient mes bras de ceindre et d’entourer avec tout le respect qu’il mérite, ce corps que tu tiens