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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/216

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par celle de votre maître ou par la perte de vos armes, ne m’en rendez pas victime ; je sais bien d’où vous vient tout cela, je devine de quel pied vous clochez. Ce n’est pas que vous ayez besoin de ce que vous demandez ou qu’il y ait chez vous grande cupidité, mais vous pensez que je veux vous retenir toute votre vie avec Élicie et Areusa, sans vous en procurer d’autres. Cessez ces menaces intéressées, renoncez à ces violences à propos de partage et taisez-vous ; celle qui a su vous faire avoir ces deux femmes vous en donnera dix autres, maintenant surtout que vous avez plus de connaissances, plus de bon sens et plus de mérite. Que Parmeno dise si je sais tenir ce que je promets en pareil cas. Parle, parle, ne crains pas de raconter ce que nous avons fait quand l’autre se plaignait du mal de mère.

Sempronio. Qu’il y aille et qu’il mette bas ses chausses s’il en a envie ; moi, je ne m’occupe pas de ce que tu penses. Ne réponds pas à ce que nous te demandons par des plaisanteries ; avec ce lévrier, si je le puis, tu ne prendras pas d’autres lièvres. Laisse là ces discours avec moi, c’est peine perdue d’agacer les vieux chiens. Donne-nous les deux parts que tu as reçues de Calixte pour notre compte, ne nous force pas à découvrir qui tu es. À d’autres, à d’autres, avec ces cajoleries, la vieille !

Célestine. Qui je suis, Sempronio ? Veux-tu me chasser de mon métier ? Retiens ta langue, n’insulte pas mes cheveux blancs ; je suis une vieille comme Dieu l’a voulu, je ne suis pas pire que les autres. Je vis de mon état, comme chaque artisan du sien, très-convenablement. Je ne recherche pas celui qui ne m’aime pas ; on vient me prendre chez moi ; c’est chez moi qu’on me prie. Dieu sait si je vis bien ou mal, il lit dans mon cœur. Ne me prends pas pour but de ta colère, il y a une égale justice pour tous. On voudra bien m’entendre, quoique je sois femme, et on saura bien vous punir. Laissez-moi chez moi avec ma fortune, et toi, Parmeno, ne pense pas que je sois