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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/236

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c’est, car je ne comprends pas ; tu ne m’as pas laissé une goutte de sang dans le corps.

Élicie. Grande douleur, grande perte ! Ce que je montre est peu de chose auprès de ce que je sens et de ce que je cache. J’ai le cœur plus noir que mon manteau, les entrailles plus noires que ma toque. Ah ! ma sœur, ma sœur, je ne puis parler, je n’ai pas la force d’arracher mes paroles de ma poitrine.

Areusa. Ah ! malheureuse ! tu m’effrayes ! Dis-le-moi, ne t’arrache pas les cheveux, ne t’égratigne pas, ne te maltraite pas. Ce mal nous est-il commun à toutes deux ? Me touche-t-il ?

Élicie. Ah ! ma cousine et mon amour ! Sempronio et Parmeno ne vivent plus, ils ne sont plus de ce monde ; leurs âmes sont allées payer pour leur faute ; ils sont libres de cette triste vie.

Areusa. Que me contes-tu ? Ne m’en dis pas davantage, tais-toi, au nom de Dieu, car je tomberais morte.

Élicie. Il y a plus de mal encore que je ne te le dis ; écoute la malheureuse qui va te dire de bien plus pénibles choses. Célestine, celle que tu connaissais bien, celle qui me tenait lieu de mère, celle qui me nourrissait, qui me logeait, celle à l’aide de laquelle je m’honorais au milieu de mes semblables, celle par qui j’étais connue dans toute la ville et dans les faubourgs, est maintenant à rendre compte de ses œuvres. Je lui ai vu donner mille blessures sous mes yeux, ils l’ont tuée dans mes bras.

Areusa. Ô grande douleur ! ô nouvelles déchirantes, chagrin mortel ! ô désastres inattendus ! ô perte irréparable ! comme la fortune a subitement tourné sa roue ! Qui les a tués ? Comment sont-ils morts ? Je suis ébahie, abattue comme quelqu’un qui entend une chose impossible. Il n’y a pas huit jours que je les ai vus vivants, et déjà nous pouvons dire : « Mon