Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espérance de me voir la nuit. Loin de moi l’ingratitude, loin de moi les flatteries et la fausseté avec un amant aussi sincère ! Je ne veux ni mari, ni père, ni parents. Si Calixte me manque, ma vie s’en va : elle ne me plaît que parce que je suis toute à lui.

Lucrèce. Taisez-vous, madame, écoutez : ils parlent encore.

Plebère. Or donc, que te semble, femme ? devons-nous parler à notre fille ? Devons-nous lui faire connaître tous ceux qui me la demandent, afin qu’elle nous dise librement quel est celui qui lui plaît ? Nos lois permettent aux hommes et aux femmes de choisir, bien qu’ils soient sous l’autorité paternelle.

Alisa. Que dis-tu ? À quoi perds-tu ton temps ? Une telle nouvelle ne va-t-elle pas effrayer notre fille Mélibée ? Crois-tu donc qu’elle sache ce que sont les hommes, s’ils se marient et comment ils se marient ? Sait-elle donc que de la réunion de la femme et du mari naissent les enfants ? Penses-tu que son innocente virginité puisse concevoir un honteux désir de ce qu’elle ne connaît pas, de ce dont elle n’a jamais entendu parler ? Penses-tu qu’elle sache même pécher par la pensée ? Ne le crois pas, seigneur Plebère ; si tu lui ordonnes de prendre homme de haute ou basse extraction, de joli ou de vilain visage, celui-là sera à son goût, celui-là elle le tiendra pour bon ; je sais bien comment j’ai élevé et surveillé ma fille.

Mélibée. Lucrèce ! Lucrèce ! cours bien vite, entre dans la chambre par la petite porte et interromps leur conversation ; arrête leurs louanges sous quelque prétexte, si tu ne veux pas que je me mette à crier comme une folle, tant je suis fâchée de la trompeuse opinion qu’ils ont conçue sur mon ignorance.

Lucrèce. J’y vais, madame.