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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/271

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volonté et fit en sorte que le désir de Calixte et le mien fussent satisfaits. S’il m’aimait beaucoup, je le payais bien de retour ; il n’y avait plus d’obstacles à la douce et malheureuse exécution de sa volonté. Vaincue par son amour, je lui donnai entrée dans ta maison ; il franchit avec des échelles les murs de ton verger, il dompta ma chaste résistance, je perdis ma virginité. Nous avons joui pendant presque un mois de cette délicieuse faute d’amour. Enfin, la nuit passée, arriva comme de coutume l’heure de sa visite ; mais la fortune frivole, selon son habitude désordonnée, avait décidé qu’elle cesserait de nous être favorable ; les murs étaient élevés, la nuit obscure, l’échelle faible, les hommes qu’il avait amenés peu accoutumés à ce genre de service ; il entendit dans la rue une rixe dans laquelle ses serviteurs étaient engagés ; il courut, voulut descendre avec rapidité, ne vit pas bien les échelons, posa le pied dans le vide, tomba, et, par suite de cette triste chute, le plus secret de sa cervelle se répandit sur les pierres et sur la muraille.

Les Parques ont coupé le fil de son existence ; elles ont tranché ses jours sans confession ; elles ont détruit mon espérance, ma gloire et ma compagnie. Il serait cruel, mon père, lui mort précipité, que je vécusse dans la douleur. Sa mort veut la mienne ; il m’appelle, il faut que ce soit sans retard ; il me dit que je dois mourir précipitée, pour l’imiter en tout. Qu’on ne dise pas de moi : « Les morts passent et sont oubliés130 ; » je veux le contenter après ma mort, puisque je n’ai pu le faire pendant ma vie. Ô mon seigneur Calixte ! attends-moi, je pars ; arrête-toi, je te rejoins. Ne me reproche pas ce retard de quelques instants, je rends un dernier compte à mon père ; je lui devais plus encore. Ô mon père bien-aimé ! je t’en conjure, si tu m’as aimée pendant cette vie de douleur, fais que nos sépultures soient réunies, que nos obsèques soient faites en même temps. J’aurais voulu te dire avant de te quitter quelques paroles consolatrices tirées de ces livres anciens que tu me faisais