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Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/67

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blés, passent avec elle leur travail de chaque jour ; les joueurs, quand ils perdent, chantent ses louanges. Tout ce qui a un son, partout où elle se trouve, reproduit son nom. Que voulez-vous de plus ? Si une pierre heurte contre une autre pierre, elle dit à l’instant : « Vieille putain ! »

Calixte. Comment sais-tu cela ? comment la connais-tu ?

Parmeno. Je vais vous le dire. Il y a longtemps que ma mère, pauvre femme, demeurait dans son voisinage ; à la prière de Célestine, elle me donna à elle pour la servir. La sorcière ne me connaît guère cependant, car je l’ai servie peu de temps, et l’âge m’a changé depuis.

Calixte. Et à quoi lui servais-tu ?

Parmeno. Seigneur, j’allais au marché, je lui apportais ses provisions et je l’accompagnais. J’accomplissais près d’elle les devoirs auxquels suffisaient mes petites forces. Dans ce peu de temps que je l’ai servie, j’ai garni ma mémoire de bien des choses que quelques années n’en ont pu arracher. Cette bonne vieille possède au bout de la ville, près des tanneries, sur le bord de la rivière, une maison isolée, à moitié détruite, peu meublée et encore moins abondamment pourvue. Elle y faisait une demi-douzaine de métiers : elle était lingère, parfumeuse, maîtresse passée dans l’art de fabriquer du fard et de restaurer les virginités, maquerelle et quelque peu sorcière. Le premier métier servait de couverture pour les autres ; à l’ombre de cette profession, bien des servantes entraient dans sa maison pour faire métier d’elles-mêmes23, puis pour faire des chemises, des gorgerettes et bien d’autres ouvrages. Pas une ne venait sans provisions : du jambon, un peu de blé, de la farine, du vin et choses semblables qu’elle dérobait à ses maîtres ; là se recelaient bien des vols de toute qualité. La vieille connaissait bon nombre d’étudiants, d’économes et de novices de couvents ; elle leur vendait le sang innocent de ces pauvres filles, qui l’aventuraient hardi-