Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/81

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nous ? Elle va à la messe ; elle sortira demain ; rôdons dans sa rue ; vois cette lettre qu’elle m’a écrite ; allons-y cette nuit ; tiens-moi l’échelle, garde la porte. Comment t’en es-tu tiré ? Voilà le cornard, il l’a laissée seule, amuse-le, j’y retourne. Et pour tout cela, Parmeno, y a-t-il plaisir sans compagnie ? En vérité, en vérité, que chacun parle de ce qu’il connaît ; c’est là le vrai bonheur ; les ânes en font au moins autant dans la prairie.

Parmeno. Je ne voudrais pas, mère, que tu me donnasses des conseils sous promesse de plaisir, comme font ceux qui manquent de raisons valables, qui environnent leurs paroles d’un doux venin, pour chasser ou captiver la volonté de leurs dupes, et qui aveuglent les yeux de la raison avec des semblants de douce affection.

Célestine. Quelle raison, fou ? Quelle affection, âne ? C’est le bon sens qui te manque, la prudence vaut mieux que le bon sens, et la prudence ne peut exister sans expérience, l’expérience ne se trouve que chez les vieillards ; nous autres anciens, on nous appelle pères, et les bons pères conseillent bien leurs enfants ; moi, surtout, je te donne des conseils à toi dont je désire le bonheur et l’honneur plus que les miens. Quand me payeras-tu de tout cela ? On ne peut rendre aux parents et aux maîtres le bien qu’on en a reçu.

Parmeno. J’hésite, mère, à suivre un conseil qui me semble douteux.

Célestine. Tu ne veux pas ? Je te dirai ce que dit le Sage : le découragement le plus prompt, la misère et tous les maux attendent l’homme qui se révolte contre la main qui le châtie. Parmeno, je te laisse, c’en est assez sur ce point.

Parmeno. Ma mère est fort irritée, je doute de ses conseils ; ne pas croire est une faute, c’en est une autre que de tout croire. C’est chose humaine que d’avoir confiance, surtout lorsqu’on promet avantages et lorsqu’il y a au delà bénéfices d’amour. J’ai ouï dire que l’homme doit croire ses aînés. Or, que me conseille la vieille ? La paix avec Sempronio ; la paix ne doit ja-