Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/96

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même. Mélibée est leur fille unique ; s’ils la perdent, ils perdent tout leur bien ; je tremble en y pensant. Tu vas pour tondre, prends garde de revenir plumée46.

Célestine. Plumée, mon fils ?

Sempronio. Ou emplumée47, mère ce qui est pis.

Célestine. Au diable ! je n’ai pas besoin de toi pour compagnon ; as-tu envie d’apprendre son métier à Célestine ? Quand tu es né, je mangeais déjà le pain avec sa croûte. Tu serais un bien mauvais capitaine d’armes, avec tes craintes et tes inquiétudes48.

Sempronio. Ne t’étonne pas de mes craintes, mère, il est dans la nature de l’homme de redouter une mauvaise issue pour ce qu’il désire beaucoup, et c’est surtout dans un cas comme celui-ci que je crains ta peine et la mienne. Je souhaite que nous profitions, je voudrais voir cette affaire arriver à bonne fin, non pour que mon maître fût hors d’inquiétude, mais pour que je fusse, moi, hors de misère. Aussi, avec mon peu d’expérience, je vois plus d’inconvénients que toi, qui es maîtresse passée en semblable matière.


Élicie. Sempronio ! Je vais me signer, je vais faire une raie dans l’eau. Qu’y a-t-il donc de nouveau ? venir ici deux fois aujourd’hui.

Célestine. Tais-toi, sotte ; laisse-le, nous avons choses plus importantes à penser. Dis-moi, la chambre est-elle vide ? Est-elle partie cette jeune fille qui attendait le prêtre ?

Élicie. Il en est venu après elle une autre, qui est aussi partie.

Célestine. Non pas sans rien faire ?

Élicie. Non, certes. Dieu ne l’aurait pas voulu ; elle est venue tard ; mais celui que Dieu aide est plus avancé que celui qui se lève matin.

Célestine. Monte vite au grenier au-dessus de la galerie et descends cette fiole d’huile de serpent, que tu trouveras attachée avec ce morceau de corde que