Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/572

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous aimerez un jour davantage d’avoir su juger, apprécier, soutenir cette fougue de votre jeunesse aimante et transportée. Nos larmes, mon ami, répondent aux vôtres : n’est-il pas étrange que, si bien d’accord et tant attachés, nous ayons encore autant à désirer ?

En attendant la révolution heureuse et nécessaire sur laquelle je compte, laissez-moi conserver et entretenir lgami d’Eudora ; vous ne lui imputez point la faute de ses pères, et mon cœur vous tient compte de l’exception que, malgré votre erreur, vous savez encore faire. L’ami de mon enfant a bien des droits à ma tendresse ; je vous parlerai d’elle pour vous, et de nous à cause d’elle ; vous me trouverez sincère, confiante et attachée autant qu’il soit possible. Cette chère Eudora a recouvré la vigueur de sa santé au prix de deux médecines. N’est-il pas triste d’avoir dû employer sitôt ces salutaires poisons ? Effet de la société, effet de la vie sédentaire des villes ! Sa petite intelligence se développe toujours davantage, et je compte bien que son cœur ne sera point étranger aux affections douces et honnêtes ?

Si vous saviez comme je suis impatientée contre moi-même pour une occasion manquée, je crois que vous me plaindriez. Un ami que nous avions à Rome est venu passer vingt-quatre heures avec moi en retournant à Paris, où il compte se fixer ; je devais lui donner vos peaux achetées à Dijon ; mais ses compagnons de voyage sont venus l’enlever plus vite qu’il ne s’y attendait, car le projet était de demeurer au moins deux jours : les commissions sont demeurées et j’ai maudit mon étourderie une heure après que la chaise de poste a été partie. Si vous en aviez quelque autre, j’imagine que vous me l’indiqueriez ; mais je ne puis vous peindre ma colère. Nous avions causé de vous, de Lavater, de mille objets attachants ; M. Le Monnier, qui descendra, je pense, chez M. Vincent, de l’Académie[1], est tout plein de son Italie qu’il vient de visiter pour la seconde fois ; c’est un homme de mœurs douces et aimables ; il connaît M. Romé de l’Isle, et fait comme tous ceux qui connaissent cet excellent homme, c’est-à-dire qu’il

  1. Le peintre François-André Vincent (1746-1816)