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le faire ; mais je t’assure que je n’y suis portée par aucune autre cause. Il pleut constamment, tous les jours ; je saisis les intervalles pour envoyer la petite dehors, mais je me trouve si bien au logis et je vois les chemins si vilains, que je n’ai pas la moindre tentation de mettre le nez à la rue. Les journées coulent si vite ! Je suis à la piste de quelques moments pour lire, comme l’est un enfant pour ses heures de récréation, et je voudrais arrêter le soleil, comme Josué, lorsque je suis avec mon cher Rousseau ou ses bons vieux amis des siècles précédents. C’est un empressement d’écolier et un enchantement qui me fait croire que je n ai encore que mes quinze ans.

Il est vrai qu’après cela il ne faut pas entendre raisonner un prêtre sur la nature humaine et les effets des passions, car il y a de quoi vomir ses entrailles ou sauter eaux nues ; mais, avec quelque chapitre de Marc-Aurèle, on s’arme de patience et l’on songe à autre chose.

Ce de Villers[1] est vindicatif comme Junon ; il ne te passera jamais d’avoir une femme qui lui a lavé la tête. Guerroyez-vous donc, les coudes sur la table, en pleine Académie ; cela ne fait peur à personne et donne à rire au plus sage des champions.

Ta petite a une tête de diable ; mais je suis Satan par excellence.


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[À BOSC, À PARIS[2].]
18 décembre 1786, — [de Villefranche].

Bonjour donc, bon apôtre ! qui me remerciez si humblement en donnant des permissions si orgueilleuses ! Vous jugez maintenant du prix que je peux attacher à celle de lire le sot bouquin que je vous ai expédié.

De Zach[3], gentilhomme du prince de Saxe-Gotha, est maintenant

  1. Voir, sur cette brouille avec de Villers, la lettre du 4 juin 1786.
  2. Collection Alfred Morrison, 2 fol.
  3. Ce passage du baron de Zach à Lyon est signalé par Dumas, Histoire de l’Acad. de Lyon, t. I, p. 162.