Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’ami, mais cela fut donné plutôt comme soupçon que comme fait positif, et cela ne laissa point de traces dans l’esprit de l’épouse, qui n’imagina jamais d’expliquer par là ce qu’il y avait de singulier parfois dans la conduite de l’ami.

Mais, puisque les choses sont telles, laisse faire à la commère ; elle arrangera bien tout cela, en commençant par s’en amuser.

J’avoue que, sans les particularités de la campagne et les confidences précises, j’aurais incliné peut-être à soupçonner la vive imagination de la quatrième d’avoir un peu grossi l’ensemble ; mais il y a, de l’autre part, tant de correspondance et de vraisemblance, qu’il faut bien que cela soit réel. Or admirez maintenant : depuis les dix jours entiers du dernier départ du mari, l’ami n’a fait qu’une seule visite ; encore a-t-il négligé d’envoyer un livre dont on avait parlé dans cette visite, et, sans un journal et un billet que la dame était chargée de lui faire parvenir, et dont elle prît occasion pour lui rappeler l’objet de sa promesse, il aurait semblé l’avoir oublié. Il est vrai qu’en l’envoyant alors il a écrit un mot où il observe qu’il a respecté toute une semaine la solitude et les travaux de la dame et qu’il espère qu’elle voudra bien lui permettre de s’en dédommager.

La bonne dame, qui a pris cela pour un compliment ou une simple annonce de visite prochaine, n’a répondu que des honnêtetés verbales dont elle a chargé le domestique. Deux autres jours se sont passés et l’ami n’est pas venu. Il est à présumer aujourd’hui que c’est par une réserve raisonnée, et que la phrase du billet était une demande de permission dans toutes les règles. L’occasion est excellente ! Demain la dame décochera un billet plaisant, moitié reproche, moitié agaçant ; cela ouvrira les voies et donnera lieu de traiter le sujet à fond[1].

Bon Dieu ! que les hommes ont la tête drôlement tournée ? Est-ce la tête que j’ai dite ?…

Tu me donnes envie de sortir, par le désir que tu as de me voir

  1. Nous ne pouvons éclaircir ce allusions à quelque commérages de la petite ville, probablement relatifs au Doyen Dessertines.