Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1052

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre : C’est de savoir quelle est la manière de cultiver, rouir, teiller, battre, peigner le chanvre, le filer, en faire de ta toile, employée par les Anglais. Ont-ils des métiers pour le filer ? Ce serait le point principal qu’on désirerait bien connaître.

Ce[1] n’est pas un des moindres tourments dans les affections vives que de ne pouvoir se livrer à ce qu’elles inspirent… Je reviendrai à vous écrire dans un temps plus propice : c’est un besoin à satisfaire et un devoir à remplir. Mais je vous disais de revenir, je voulais vous développer ce que je pense à ce sujet. Vous vous instruisez pour la patrie, et j’avais quelque joie de penser que, tout en la servant, ou vous préparant à lui dire plus utile, vous n’étiez pas à la portée des secousses qu’elle pourrait éprouver. Vous parlez de revenir au printemps, ce sera peut-être l’époque de quelque trouble ; et, puisque la nature et le devoir vous appellent auprès de vos parents, je ne vois pas pourquoi vous tarderiez de vous y rendre ; il ne faut pas attendre qu’il s’élève des obstacles à votre réunion. Adieu ; il n’est pas encore question de mourir pour la liberté ; il y a plus à faire : il faut vivre pour l’établir, la mériter, la défendre, par un combat opiniâtre contre toutes les passions qui la menacent ou qui rivalisent indignement avec elle. Votre pays n’est pas dénué de vertus, ni vos amis ne sont pas sans courage ; mais il faut se réunir pour doubler ses efforts et son influence.

Je[2] souhaite, mon cher, que cette lettre mette un peu de baume dans votre sang, qu’elle distraie un moment votre cœur.

Nous agissons fortement ici contre le club des prétendus Amis de la constitution monarchique[3]. L’énergie est au plus haut degré parmi le peuple et parmi toutes les sociétés politiques. Nous espérons que cette secousse, au lieu de produire le mal que les aristocrates en espéraient, affermira d’autant plus la Constitution.

Je vous embrasse.

  1. Madame Roland reprend la plume.
  2. Cette fin est de Bosc, chargé de transmettre la lettre à Bancal.
  3. Malouet, Clermont-Tonnerre et leurs amis avaient fondé, en opposition aux Jacobins, le Club des Impartiaux, qui devint bientôt le Club de Amis de la Constitution monarchique ou, par une abréviation courante, le Club monarchique. Il entreprit d’avoir des affiliations en province ; à Paris, il distribuait des bons de pain et organisait des ateliers de charité (voir lettre du 22 mars 1791). À la suite d’une émeute populaire (28 mars 1791), la municipalité de Paris le fit fermer en avril. (Tourneux, 9712, 9896.)