Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reusement composée, nous serons déchirés et perdus. Les finances sont dans un état très fâcheux ; on vient encore de décréter une nouvelle émission d’assignats, presque sans discussion, et personne n’entend rien à l’emploi des fonds du trésor public.

Le Comité de constitution ne veut ni Convention, ni révision, et il cherche à lier, par tous les moyens, les législatures suivantes. Sieyès et Condorcet[1] ont fait imprimer une sorte de profession de foi qu’ils voulaient faire signer à beaucoup de gens marquants, afin de la répandre dans les corps électoraux et de la donner comme un signe de ralliement ; elle est fautive et insignifiante à plusieurs égards, et très dangereuse à plusieurs autres.

Le tribunal criminel est fortement organisé ; Robespierre, accusateur public ; Petion, président ; Buzot, substitut. Les aristocrates font rage et se répandent en infâmes déclamations ; quelques-uns d’eux émigrent. On a arrêté hier, aux jacobins, d’envoyer quatre députés à Londres pour assister à la fête que les Amis de la Révolution se proposent de célébrer au 14 juillet, mais la cabale qui fait tout aujourd’hui dans ce club, autrefois si utile, ne permet guère d’espérer un bon choix pour cette députation ; j’ai été témoin de ses clameurs pour étouffer la voix d’un citoyen qui voulait faire des observations sur le choix dont on a à s’occuper. La translation de Voltaire donnera lieu à un [nouveau[2]] genre de fête, le 4 du prochain ; le plan de cette cérémonie est vraiment superbe.

J’entends répéter de tous côtés, ce que vous nous exprimez, qu’il y a à présent bien peu de femmes patriotes. Ignorance et faiblesse me semblent les mots de l’énigme ; elles sont les sources de cette misérable vanité qui dessèche tout sentiment généreux, qui répugne à l’esprit de justice et d’égalité : c’est la faute du siècle et de l’éducation bien plus que celle du sexe. La même sensibilité qui se disperse et s’atténue sur des bagatelles, d’où elle se résoud en

  1. Il n’y eut jamais de sympathie entre Condorcet et les Roland, ainsi qu’on va le voir d’ailleurs par une des lettres suivantes (1er juillet 1791). Peut-être se souvenait-on, de part et d’autre, d’avoir eu en 1781, à propos des Arts que publiait Roland, des rapports assez difficiles (voir Appendice G.). Nous les trouverons pourtant quelques jours après cette lettre, plus ou moins alliés dans l’affaire du Républicain. Mais l’éloignement réciproque resta la note dominante. — Voir dans Robinet, Condorcet, sa vie, son œuvre, Paris, 1894, passim, et surtout la lettre si malveillante pour Madame Roland publiée par la Chronique de Paris le 22 février 1793. Cf., par contre, la page injuste des Mémoires de Madame Roland sur Condorcet. (I, 283-284).
  2. Le mot est détruit par la déchirure du cachet.