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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1154

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que nos adversaires avaient voulu citer, et il a bien prouvé que le Roi pouvait être jugé. La seconde partie de son discours a été employée à établir qu’il devait l’être ; il a passé en revue toute l’Europe pour démontrer que la crainte des puissances étrangères ne devait point nous arrêter dans ce que la justice et la raison exigeaient de nous à cet égard. Il a traité ces grandes questions avec tous les moyens du savoir et d’un grand talent, avec toute la force de la raison, l’empire du sentiment, l’autorité de la vertu ; ce n’était plus un simple orateur, c’était un homme libre défendant la cause du genre humain avec la majesté, la noblesse et la supériorité du génie même de la Liberté. Il a convaincu les esprits, électrisé les âmes, commandé ce qu’il a voulu ; ce n’étaient pas des applaudissements, c’étaient des cris, des transports ; trois fois l’Assemblée entraînée s’est levée tout entière, les bras étendus, les chapeaux en l’air, dans un enthousiasme inexprimable. Périsse à jamais quiconque a ressenti ou partagé ces grands mouvements et qui pourrait encore reprendre des fers ! Mais cela ne saurait être. On a arrêté que le discours serait imprimé au nom de la Société, des exemplaires envoyés à tous les membres de l’Assemblée nationale, à toutes les sections de Paris, à tous les bataillons, à tous les départements et aux Sociétés affiliées : on avait ajouté à toutes les municipalités de l’empire ; la longueur du tirage a empêché, ou plutôt une petite tourbe s’est servi de ce prétexte pour circonscrire, s’il lui était possible, un succès qui fait son désespoir et qui n’a pas d’exemple[1].

Les Comités sont déconcertés. Si l’Assemblée corrompue brave cette opinion, elle se perd elle-même ; ce qui, isolément, ne serait pas un grand mal, puisqu’elle ne vaut plus rien, mais ce qui nous jetterait infailliblement dans des crises terribles. Je me suis hâtée de vous esquisser ce triomphe de la raison dont j’espère d’heureux effets. Aujourd’hui, nous sommes occupés de celui de Voltaire. Puisse une nation sensible, habituée maintenant à de sublimes élans, éviter tous les pièges qui pourraient la faire retomber dans le néant de l’esclavage ! Enfin j’ai vu le feu de la Liberté s’allumer dans mon pays ; il ne saurait

  1. Voir dans Aulard, Jacobins, t. II, p. 606-607, le compte rendu de cette séance, où Goupil de Préfelne, député du Tiers du bailliage d’Alençon, n’est désigné que sous son nom patronymique de Goupil. On trouve à la suite (p. 608-626) le discours de Brissot « sur la question de savoir si le Roi peut être jugé », discours qu’on trouvera aussi au tome IV de ses Mémoires, éd. Montrol. Remarquons ici, une fois pour toutes, que ces comptes rendus, tirés des journaux du temps, sont singulièrement pâles et incohérents à côté des vibrants récits de Madame Roland.