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que mon courage s’étonnât de rien, mais afin que les attentats fussent connus, et que mon sort ne restât pas ignoré.

Je sais que le ministre de l’Intérieur a signé une lettre qu’on lui a fait écrire pour l’administration de police, laquelle a répondu qu’elle n’avait agi que par ordre du Comité de Sûreté générale de la Convention. C’est une manière de s’entendre et de s’étayer pour se dispenser de toute faveur et pour éloigner les réclamations. Je n’ai pas envie d’en adresser à personne, car je ne veux pas m’avilir. J’attendrai ma liberté du retour du règne de la justice et, digne de la bonne fortune, je ne m’abattrai point dans la mauvaise.

Les nouvelles de mes amis sont le seul bien qui me touche ; vous avez contribué à me le faire goûter. Dites-leur que la connaissance de leur courage et de tout ce qu’ils sont capables de faire pour la liberté me tient lieu et me console de tout ; dites-leur que mon estime, mon attachement et mes vœux les suivent partout. L’affiche de B…[1] m’a fait grand plaisir. Adieu, brave citoyen, votre droiture et votre intrépidité vous assurent des sentiments que je vous porte et vous conserve.


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[A BUZOT, À CAEN[2].]
3 juillet [1793, — de Sainte-Pélagie].

Quelle douceur inconnue aux tyrans que le vulgaire croit heureux dans l’exercice de leur puissance ! Et s’il est vrai qu’une suprême intelligence répartisse les biens et les maux entre les hommes suivant les lois d’une rigoureuse compensation, puis-je me plaindre de mon infortune, lorsque de telles délices me sont réservées ? — Je reçois ta lettre du 27 ; j’entends encore ta voix courageuse, je suis témoin de tes résolutions, j’éprouve les sentiments qui t’animent, je m’honore de t’aimer et d’être chérie de toi. — Mon ami, ne nous égarons pas jusqu’à frapper le sein de notre mère en disant du mal de cette vertu qu’on achète, il est vrai, par de cruels sacrifices, mais qui les paye

  1. Il s’agit probablement de Barbaroux. — « Je te fais encore passer, mon cher ami, une demi-douzaine d’exemplaire de mon Adresse aux Marseillais…  » (Lettre de Barbaroux à de Perret, datée de Caen, du 25 juin 1793, publié par Champagneux, III, 426-427.)
  2. Publié en 1864, avec fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland, p. 27-31). Bibl. nat., ms. n.A.fr., n° 1730.