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perdre, et ne vous détachez de quoi que ce soit que vous ne vous soyez procuré un double par copie.

Mes « Dernières pensées » sont nécessaires aux père et mère adoptifs de ma fille[1] ; vous les leur communiquerez, si l’exemplaire que je leur destine manquait de leur parvenir.

Adieu, Jany, je vous honore et vous aime ; je m’éteins en paix, en songeant que vous ferez revivre de moi tout ce que j’ai pu en faire connaître ; il ne manque que des détails, dont je ne tairais pas un seul si j’avais plus de temps, mais dont nul n’est en contradiction avec ce qui précède.


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[À ROBESPIERRE[2].]
23e jour, 1er ms., an second [14 octobre 1793], — de l’infirmerie de Sainte-Pélagie.

Entre ces murs solitaires, où depuis tantôt cinq mois l’innocence opprimée se résigne au silence, un étranger paraît. — C’est un médecin que mes gardiens amènent pour leur tranquillité ; car je ne sais et ne veux opposer aux maux de la nature, comme à l’injustice des hommes, qu’un tranquille courage. En apprenant mon nom, il se dit l’ami d’un homme que peut-être je n’aime point. — Qu’en savez-vous, et qui est-ce ? — Robespierre. — Robespierre ! je l’ai beaucoup connu et beaucoup estimé ; je l’ai cru un sincère et ardent ami de la liberté. — Eh ! ne l’est-il plus ? — Je crains qu’il n’aime aussi la domination, peut-être dans l’idée qu’il sait faire le bien ou le veut comme personne ; je crains qu’il n’aime beaucoup la vengeance, et surtout à l’exercer contre ceux dont il croit n’être pas admiré ; je pense qu’il est très susceptible de préventions, facile à se passionner en conséquence, jugeant trop vite comme coupable quiconque ne partage pas en tout ses opinions. — Vous ne l’avez pas vu deux fois ! — Je l’ai

  1. M. et Mme Creuzé-Latouche. — Voir Appendice K.
  2. Bosc, I, 123 ; Faugère, I, 191. Nous avons relevé ailleurs (Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland, Révol. franç. du 14 mars 1897) la distraction de Bosc et de Champagneux, qui ont traduit les indications de « 23e j., 1er ms., an second » par 23 septembre, — et la méprise plus grave encore de M. Dauban, qui traduit par « 2 vendémiaire, an ii ».

    C’est M. Faugère qui a remarqué le premier que cela correspondait au 14 octobre 1493.