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Aidé par des secours importants du gouvernement français, Holker fonda en 1752[1], à Saint-Sever, faubourg de Rouen sur la rive gauche de la Seine, une fabrique de velours de coton. A-t-il véritablement introduit en France cette industrie du Lancastre, ou n’a-t-il fait que la perfectionner ? Nous nous garderons de nous prononcer là-dessus, et de trancher ainsi le débat qui surgit plus tard entre Roland et lui. Notons seulement que Roland, dans son Art du fabricant de velours de coton, écrit en 1776, mais publié seulement en 1780, lui conteste absolument tout titre à cet égard.

Holker, s’il faut en croire son apologiste[2], nous aurait apporté « l’art des velours et autres étoffes anglaises de coton ; l’apprêt de toutes les toiles par les calandres et cylindres, chauds et froids ; une nouvelle teinture en bleu ; la manufacture d’huile de vitriol ; l’art des bayettes ; mille améliorations dans l’apprêt des draps et dans les instruments de triture et de filature… », etc.

Mais, d’un autre côté, un violent libelle[3], qui est probablement de Denis Baillière, le pharmacien-chimiste de Rouen, ami de Roland, nous donne une note bien différente :

« Cet homme, qui se dit de famille noble, est né et a vécu dans la plus grande abjection et dans la misère : il n’avait pour rouler sa calandre qu’un cheval aveugle, auquel il faisait la litière et qu’il pensait lui-même ; son nom était perdu dans la plus vile populace de Manchester ; son humble épouse, qui lui aidait à tout de son mieux, ne savait ni lire ni écrire… Il ment, quand il parle de ses inventions et des services qu’il a rendus à la France ; il ne savait rien quand il y est venu ; il n’y a rien importé que de l’intrigue transformée en impudence… Il ment, lorsqu’il dit que sa tête était à prix ; prisonnier à Newgate, comme un échappé de la Conciergerie, il eût été exécuté si on l’eût repris, mais il ne fut jamais question d’argent pour un homme de cette sorte… il ment toujours… Ledit chevalier est un chevalier d’industrie… »

Quoi qu’il en soit, il ne peut guère être contesté que Holker, intelligent, actif, ambitieux, encouragé par Trudaine, guidé par M. de Montigny, n’ait pris très vite une grande place dans l’industrie française. Aussi fut-il nommé, par arrêt du Conseil du 15 août 1755, sous l’administration du contrôleur général Moreau de Séchelles, inspecteur général des manufactures et « principalement de celles qui ont été établies à l’instar des étrangères », avec

  1. Un arrêt du Conseil du 19 septembre 1752 lui alloua, pour son entreprise, une gratification annuelle de 1,200 livres. Cf. Abrégé de l’histoire de la ville de Rouen, 1759 [par Lecocq de Villeray], p. 22 : « La manufacture qui vient de s’établir au faubourg Saint-Sever, par arrêt du Conseil du 19 septembre 1752, mérite à juste titre la protection royale dont elle est appuyée sous la direction du sieur Hocker (sic) et Cie, qui en sont entrepreneurs ». — Cf. Almanach de Rouen, 1766, p. 60 : « Manufacture royale de velours, draps de coton et autres étoffes nouvelles établie par arrêt du Conseil du 17 novembre 1752, au faubourg Saint-Sever ; M. Holker, inspecteur général, à la manufacture, etc. » Nous savons aussi que Holker fonda aussi à Rouen, entre 1762 et 1766, un fabrique d’huile de vitriol (acide sulfurique).
  2. Lettre d’un citoyen de Villefranche à M. Roland de La Platière, p. 22.
  3. Lettres imprimées à Rouen en octobre 1781. — Première lettre de M. D.B., de l’Académie de Rouen, à M. A.D.C., de l’Académie des Sciences de Paris, Bibliothèque de Lyon, fonds Coste, n° 353442. Il y a six lettres, deux de Baillière, quatre de Roland.