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telle se trouvait déjà. Leurs sanglots lui apprirent la fatale nouvelle. Ce récit de Mme Grandchamp met donc à néant l’anecdote, rapportée par M. Dauban (Étude, p. xci) et souvent reproduite après lui, qui montre Bosc suivant déguisé la fatale charrette.

« Je n’ai jamais eu de bijoux, disait Madame Roland dans ses Dernières pensées, écrites entre le 5 et le 8 octobre ; mais je possède deux bagues de très médiocre valeur qui me viennent de mon père ; je les destine, comme souvenir, l’émeraude au père adoptif de ma fille [Creuzé-Latouche], et l’autre à mon ami Bosc. » (Mém., II, 263.)

Elle lui avait aussi envoyé un autre souvenir. Barrière dit, dans son édition de 1820 (t. I, Notice, p. xl ; cf. t. II, p. 311) : « M. Bosc possède un dessin achevé par Madame Roland douze jours avant sa mort[1]. Le dessin représente une tête de vierge ; en bas, sont écrits ces mots, de la main de Madame Roland : « Je sais que mon ami Bosc sera bien aise d’avoir ce mauvais dessin, crayonné des mains du courage et de l’innocence persécutés. Mon amitié le lui destine. »


§ 15. Épilogue.

Nous devrions terminer ici cet Appendice, au moment où s’arrête la Correspondance. Mais la vie de Bosc a été trop étroitement mêlée à celle des Roland, il a veillé avec trop de sollicitude sur leur fille et de fidélité sur leur mémoire pour que nous puissions le quitter, sans marquer rapidement les traits essentiels des trente-cinq années pendant lesquelles il leur survécut.

Bosc passa à Sainte-Radegonde, caché, vêtu en paysan, se risquant quelquefois dans Paris, toute la période de la Terreur. Il donna asile dans l’ermitage à La Revellière-Lépeaux pendant trois semaines (mars 1794), puis au malheureux Masuyer qui, pour n’avoir pas su y rester, se fit arrêter et fut exécuté le jour même. C’est dans ce logis rustique, « au-dessus de la poutre de la porte charretière » (A. Rey, p. 45), qu’il avait caché les cahiers manuscrits des Mémoires de Madame Roland, tant ceux dont il avait reçu le dépôt direct que ceux qui lui avaient été remis ensuite par Mentelle.

Dans les derniers jours de la vie de Madame Roland, il avait confié Eudora, que les Creuzé-Latouche ne pouvaient plus garder, à une maîtresse de pension, appelée Mme Godefroid. Dès qu’il put, après la Terreur, se montrer et agir, il se fit nommer tuteur de l’enfant (décembre 1794) et commença les procédures pour lui faire rendre héritage de ses parents, en partie confisqué, en partie sous séquestre. En décembre 1795, Eudora Roland se trouvait remise en possession de la maison de Villefranche, du Clos, du domaine de Villeron et de l’héritage de sa cousine Trude, à Vaux, près Meulan. Mais il avait fallu la faire vivre pendant cette longue année de démarches : Bosc publia, chez Louvet, qui s’était établi libraire et éditeur tout en se faisant réintégrer à la Convention, les Mémoires de Madame Roland, sous le titre de Appel à l’impartiale Postérité. L’ouvrage parut en quatre parties,

  1. C’est-à-dire précisément le 27 octobre, jour où elle lui écrit sa dernière lettre. Elle dut lui envoyer le tout en même temps. — Barrière avait publié un fac-similé de ce dessin. Il y en a un exemplaire au ms. 9533, fol. 295. L’original est au château de Rozière, près Bourgoin, chez Mme Eudora Taillet, arrière-petite-fille des Roland.