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§ 4. Les relations.

Partageant son temps entre la grande et triste maison de Villefranche et la retraite fort rustique, un peu sauvage[1], mais reposante du Clos, — avec quelques rares séjours à Lyon, — Madame Roland vécut là cinq ou six années. Ses relations avec le monde bourgeois de Villefranche, chanoines de la collégiale, officiers de la sénéchaussée, de l’élection, fonctionnaires des aides, etc., ne paraissent pas avoir tenu beaucoup de place dans sa vie ; en arrivant, elle dut faire la tournée de visites obligatoire (lettre 168) ; elle vit plus particulièrement, outre les Preveraud de Pombreton, parents de son mari[2], les hommes qui avaient du goût pour les lettres, l’aimable doyen Dessertines, le bon et vieil avocat Pezant, les frères Pein, etc. Parmi les femmes de sa société, nous ne distinguons guère que Mme  de Longchamps, et surtout une excellente jeune femme de Mulhouse, Mme  Braun, dont le mari, appelé par Roland, venait de fonder aux portes de la ville, sur la paroisse de Béligny, au lieu dit de La Quarantaine (ancien hôpital des pestiférés), une manufacture de toiles peintes ou indiennes[3]. On pourrait aisément, en recueillant tous les traits épars dans la Correspondance, refaire le tableau de ces années de vie provinciale, mais ce détail intéresserait surtout les lecteurs de la petite ville qui en fut le cadre. Au fond, Madame Roland se tenait le plus possible en dehors de la « canaille caladoise »[4]. — c’est ainsi qu’elle appelle insolemment (lettre 230) la société de la ville, dont elle fait ailleurs une description assez piquante (lettre 230). Elle regardait plus loin : vers Lyon, en raison des relations considérables que Roland s’y créait, — vers Paris, où elle correspondait assidûment avec Bosc et Lanthenas, en attendant de correspondre avec Brissot lui-même. Comme à Amiens, elle était excédée des dîners à accepter et à rendre, des « éternelles mangeailles » (lettre 282). Elle allait cependant au bal (lettre 277). Mais ce qu’elle préférait de beaucoup, c’était de recevoir, — à Villefranche, les beaux esprits de Lyon qui y venaient à l’occasion de la grande séance annuelle de l’Académie (lettres 201, 203), — au Clos, en automne, à l’occasion des vendanges, ses belles connaissances lyonnaises (lettres 256, 307, 308).

Un prêtre de Lyon, l’abbé Guillon de Montléon, qui a connu les Roland à cette époque,

  1. Voir Souvenirs de Sophie Granschamp.
  2. La mère de Georges Préveraud était une Roland, Antoinette Roland de la Roche. Arch. mun. de Villefranche, GG, 37, registre des années 1749-1754.
  3. C’est en 1782 que Théodore Braun, de Mulhouse, marié en 1768 avec Marthe Hofer (voi lettres 253 et 269), était venu s’établir à Béligny, probablement sur la sollicitation de Roland. Le catalogue du fonds Costes, de la bibliothèque de Lyon, mentionne (n° 17653, mais la pièce ne se trouve plus à la bibliothèque) une lettre de Roland, sans suscription, « en faveur du sieur Braun, Suisse de Mulhouse, qui vient établir une manufacture à Villefranche , Lyon, 5 janvier ». Il est probable que Roland demandait pour son ami moins une autorisation, puisque Braun était à Villefranche depuis cinq ans déjà, qu’une faveur à laquelle sa qualité de protestant pouvait mettre un obstacle. (Cf. lettre 267.)
  4. Les habitants de Villefranche s’appelaient alors et s’appellent encore aujourd’hui les Caladois, probablement à cause de la grande chaussée en pente, empierrée et dallée, — route de Paris à Lyon, — qui traverse la ville.