Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/157

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en est un peu moins assidu près de la dame ; juge s’il a pu me venir voir.

Le père de mon nourrisson m’a fait une belle lettre pour m’intéresser à ses malheurs  ; il désirerait une place quelconque, enfin un meilleur sort que celui qu’il a et qui, sans contredit, est bien triste. Sa femme est venue me voir ; je lui ai dit que je serais charmée de lui rendre service, mais que ta place ne te donnait la disposition d’aucun emploi, que j’ignorais de quoi son mari était capable, ce qu’il voulait et ce qu’il pourrait être ; et que, par-dessus tout, je ne connaissais personne qui pût le placer comme elle l’entendait. Elle m’a priée de permettre qu’il vînt me parler, ce que j’ai accordé de grand cœur ; car encore faut-il du moins écouter les malheureux, si l’on ne peut leur faire tout le bien dont ils auraient besoin ; c’est une douceur que d’être plaint, de voir qu’on intéresse, et je procurerai celle-là avec toute la vivacité que me donne le regret de ne pouvoir mieux. Cette bonne femme m’a paru estimer beaucoup ce que nous avions fait pour elle, et les excuses ont été prodiguées sur la liberté qu’elle prenait, etc.

Je ne t’ai pas écrit ce matin, parce que j’ai encore une lettre en route que tu recevras demain, et que j’attends le paquet annoncé pour t’en donner nouvelles dans celui-ci. Si tu avais passé dans les bureaux dimanche, tu y aurais trouvé ma première. J’aurais pu mettre ici à la poste la lettre à Mlle  de la B. [Belouze], car je pense bien que tu ne la lui remettras pas toi-même ; mais tu la verras et tu la déposeras à son couvent comme tu l’entendras.

Ta petite me regarde écrire, elle élève le sourcil comme toi, et elle a déjà au front des plis en travers. Je n’ai presque plus de douleur en lui donnant à téter, et, ce que je n’aurais pas cru, je sens de l’augmentation dans le plaisir de le faire ; je la prends toujours sur moi avec un tressaillement d’aise, en voyant son empressement et son air de santé : c’est une fête pour nous deux. Ancelin, consulté sur la cause des vents de cet enfant, lui a tâté tes mains, qu’il a trouvées un peu froides ; voilà, m’a-t-il dit en docteur, ce qui peut les occasionner : le froid des extrémités durcit les fibres, s’oppose au développement, fait