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que je viens de signer. J’ai lu tes plaintes trop justes et je me promets bien d’avoir de meilleurs yeux. Il m’arrive une lettre de Rouen. Je l’ai décachetée, pressée que j’étais de savoir ce que te mandait de ce pays une main inconnue (n’avais-je pas déjà peur !). Il me paraît que c’est quelque entrepreneur, conduit par la jalousie du métier, et dont, à ci titre, le témoignage n’est pas d’un grand poids ; d’autant qu’il ne raisonne pas à merveille ; mais enfin, c’est quelqu’un qui voit l’injustice et qui connaît le charlatan, peut-être aussi mieux par sa place que s’il était à toute autre.

Tu es donc bien choyé par le fidèle Achate ? Je reconnais là mon frère et sa bonne amitié, et je lui confirme par toi les titres de l’une de l’autre. Adieu, mes amis, pace e coraggio ; tu en as bien besoin pour ta part, mon bon ami ; mais j’espère bien aussi ne plus troubler l’une ni exercer l’autre par aucune erreur comme la dernière. Écris-moi dans un meilleur jour et que je te sache plus content. Reçois mes embrassements, en attendant ceux de ta fille. Tout va bien au logis.


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[À ROLAND, À PARIS[1].]
Vendredi, 23 [novembre 1781], 10 heures du soir, — [d’Amiens.]

Si je m’étais permis aujourd’hui de juger des choses par ce que je souhaitais, j’aurais été surprise de n’avoir pas de tes nouvelles ; mais il est tout simple que tu attendes la réponse au dernier paquet, avant de rien expédier de nouveau, et, sur ce pied-là, je n’aurai de lettre que dimanche. J’attendrai cette époque pour t’envoyer ce que j’écris, afin de nous mettre à jour. Ce délai me paraît sans inconvénient, puisque tes inquiétudes doivent être calmées, que je n’ai rien à t’apprendre de neuf, et qu’enfin, autrement, je ne pourrais gagner qu’un jour.

Je viens causer avec toi après mon souper pour adoucir mon veuvage, en atténuant autant qu’il est possible la distance qui nous sépare

  1. Ms. 6238, fol. p. 161-164.