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C’est la publication des Lettres à Buzot, en 1864, qui vint enfin révéler le noble et touchant secret.

Pendant quinze jours, du 22 juin au 7 juillet, Madame Roland put ainsi, par l’intermédiaire de Mme Goussard et de sa sœur, correspondre avec Buzot. Mais, à cette date, la correspondance s’interrompt ; les intermédiaires disparaissent les uns après les autres ; Mme Goussard est allée rejoindre les Pétion en Normandie ; de Perret, dont les papiers ont été saisis le 12 juillet, est décrété d’arrestation le 14. D’ailleurs, le 13, jour où Charlotte Corday assassinait Marat, la défaite de Brécourt avait rejeté sur Caen Ire avant-gardes de la petite armée girondine, et toutes les communications étaient devenues impossibles. Vallée, enfin, est décrété d’arrestation le 30 juillet, Champagneux, le 4 août.


§ 14.

À ce moment-là, Buzot, à Caen, Roland, à Rouen, cherchaient, chacun de son côté, des moyens de faire évader la prisonnière. Déjà, dans sa lettre à de Perret du 15 juin, Barbaroux avait laissé entrevoir ce dessein. Roland, d’autre part, avait envoyé « de trente lieues » (probablement d’Amiens) « une personne » (Henriette Cannet) « qu’il avait chargée de tout tenter » pour cette entreprise. Nous n’avons pas à narrer ici par le détail ces projets d’évasion[1] ; il suffit de dire que Madame Roland les écarta tous. Elle ne voulait compromettre personne, et d’ailleurs elle prétendait continuer à servir la gloire de Roland en restant prisonnière. Mais sa raison la plus forte, qu’elle confesse et proclame dans ses lettres à Buzot, c’est que sa captivité lui procure, dans les combats qui déchiraient son âme, une liberté morale qu’elle n’avait pas trouvée ailleurs. Fuir ? mais où aller ? auprès de Buzot ? L’honneur le lui défendait. Près de Roland ? Elle aurait trop souffert. La prison lui permettait de penser à l’un en honorant l’autre. C’est la pensée qui la poursuivait depuis le mois d’octobre 1792 : « Conserver mon âme pure et voir la gloire de mon mari intacte ».

Buzot quitta Caen le 28 juillet avec ses compagnons d’infortune, pour se réfugier en Bretagne, aux environs de Quimper. C’est là qu’il reçut cette étrange lettre du 31 août, qui jette un jour si douloureux sur les souffrances morales qui dévoraient Roland dans sa retraite de Rouen, et qu’il faut commenter, pour la bien comprendre, par un important passage des Mémoires[2], et surtout par les confidences faites à Mentelle en octobre

    versaires de mai-juin 1792. Nous avons sous les yeux un exemplaire des Mémoires (éd. de Bosc), annoté par Calvet, un membre obscur de la droite de la Législative. À propos d’un des passages relatifs à Servan, il a écrit en marge : « Chacun sait que Servan était l’ami de la maison dans toute la force du terme ». On prononçait cependant tout basn dans les familles des Girondins, le nom de Buzot (Voir Sainte-Beuve, Nouveaux lundi, t. VIII, p. 209, 215). Ajoutons M. Granier de Cassagnac (Histoire des Girondins, que la passion politique rendait clairvoyant.

  1. Voir, là-dessus, Mémoires, t. I, p. 180, 328, et t. II, 248 ; lettres des 3 et 6 juillet ; Champagneux, Disc. prélim., xlvi-xlvii ; cf. le récit d’Henriette dans l’Introduction de M. Breuil aux Lettres aux demoiselles Cannet, 1841, t. I, p. xxiv, et une note manuscrite de Bosc, ms. 9533, fol. 242.
  2. T. II, p. 244 : « Son imagination s’est noircie, sa jalousie m’a irrité… Si j’étais libre,