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je n’obtins pas cependant ce que je désirais. Mais Chavaud de La Garde, présent à l’une de mes visites à ce monstre, en parla à Mme R…, qui m’écrivit. Je parvins à la voir et je lui fis des visites fréquentes pendant que mon ami Bosc était lui-même poursuivi. C’est à moi qu’elle a confié ses Mémoires, sa montre et le portrait de son mari, le sien même que je garde, et j’ai conservé ces objets sacrés à l’insu de ma femme même, dans un logement du Louvre que Madame Roland m’avait accordé. Et pourtant j’avais au-dessous de moi cette exécrable Commission populaire. J’ai, depuis, rendu la montre et le portrait du père. J’avais prêté à M. Paquier (sic) celui de Mme R… parce qu’il devait, disait-il, le graver. Je crois en effet que vous feriez bien d’en faire faire un par Tardieu, qui réussit très bien dans ce genre, et je l’eusse fait, si j’en avais eu le moyen. Ce portrait figurerait très bien à la tête de ses Mémoires' et y ajouterait un nouvel intérêt. Il y a même une lettre imprimée adressée à Betzy, c’est le nom que je portais dans notre correspondance. Malheureusement, je lui ai trop obéi pour d’autres lettres qu’elle m’avait fait jurer de brûler ; je les ai bien regrettés depuis. Je n’ai pas eu le bonbeur de voir sa chère fille depuis. Je sais qu’elle est mariée, je crois, à M. votre fils. Je sais aussi qu’elle a fait présent des œvres de sa mère à un de mes amis (Désormery), commissaire à Senlis, et qui a pu lui rendre quelque service ; il en a été très touché.

Salut et entier dévoûment,


Mentelle,
Membre de l’Institut.
rue des Orties du Louvre, no 19[1].

Cette lettre comporte deux remarques :

1o Comment Mentelle, entre 1793 et 1800, ne s’était-il pas fait connaître de Champagneux ? Il faut ici se rappeler que Champagneux n’était sorti de prison qu’en août 1794, s’en était allé tout droit en Dauphiné, n’en était revenu qu’en octobre 1795, pour rentrer au ministère de l’Intérieur dans une haute situation, n’avait eu à s’occuper d’Eudora Roland qu’en juillet 1796, lorsque Bosc, s’expatriant, lui transmit la tutelle de la jeune fille, puis, destitué dans l’été de 1797, s’en était retourné définitivement à Bourgoin. Il n’avait donc passé à Paris que moins de deux années sur sept, et n’avait pas dû se mettre en peine de retrouver le confident d’événements intimes sur lesquels il semble bien qu’il préférait jeter un voile. Mentelle, de son côté, modeste et pauvre, n’était pas allé s’offrir.

2o Ce qui peut surprendre davantage, c’est que Mentelle ait confondu Jany avec Betzy, qu’il ait oublié, en mars 1800, le nom sous lequel il correspondait, en septembre 1793, avec Madame Roland. À cette étrange défaillance de mémoire, il n’y a qu’une explication, les 70 ans du vieux géographe.

Nous voulons croire que Mentelle obtint son exemplaire ; il l’avait bien gagné.


§ 6.

Il contiuua, presque jusqu’à sa dernière heure, à enseigner et à publier. Il n’avait pas les moyens de se reposer. En 1804, il professait la géographie à l’école centrale des Quatre--

  1. C’est l’adresse de la porte par laquelle on entrait dans les logements de la grande Galerie du Louvre, où Mentelle habitait toujours. Lorsque, en 1806, l’Empereur fit évacuer les Galeries, Mentelle alla se loger tout auprès, au no 2 de la rue du Doyenné.