Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/180

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J’avais hier les seins un peu gonflés : mon médecin dit qu’il serait possible que le lait revint en reprenant des aliments et de la santé ; je s’ose me livrer à cet espoir dont la seule lueur me fait tressaillir. Il est si vrai pourtant que les femmes ont longtemps et presque toujours du lait, dès qu’une fois elles ont été mères ! je pourrais peut-être !… attendons ; malheureusement je suis condamnée aux lavements pour quelque temps encore, et ma faiblesse ne permet pas de me faire tirer. — J’ai eu hier après-midi le même chagrin que la veille ; l’enfant se refusait à mes soins, sans doute par quelque douleur ; mais je n’ai pu le voir froidement. La pauvre Marie-Jeanne et Marguerite, tout émues, se sont mises à me conjurer de ne pas pleurer, parce que, disaient-elles, cela leur faisait mal. Je me suis consolée une heure après que la petite, de meilleure humeur, a pris la soupe de ma main et s’est reposée sur mes genoux. Elle a grand appétit, le corps libre et se porte assez bien ; une colique de vents la tourmentant au soir, je lui ai donné une cuillerée à café de vin de rota ; pour cette fois, la cuiller ne l’a pas fait crier, elle a sucé la liqueur et ses petites lèvres, en vraie friande.

Je te conte toutes mes misères et jusqu’à mes sottises ; c’est un soulagement que de se confesser ainsi.

J’ai reçu mes pardons et indulgences en bonne forme du chanoine[1] ; il est clair qu’en les écrivant, il ne savait pas encore ma maladie sais-tu bien que j’ai trouvé drôle que tu n’eusses pas décacheté la lettre de ton frère ? Tu aurais vu en premier lieu qu’il me sait très bon gré de l’avoir fait oncle ; que notre maman grille de voir sa petite-fille et me fait recommander de la lui mener dès qu’elle sera transportable ; plus, une légende des parents et amis qui nous en disent tant et tant ; enfin, l’agrégation de mon favori, l’abbé Pein, parmi les membres académiques de ta petite Chéronée[2]. Je répondrai à tout cela au

  1. Du chanoine Dominique Roland ; sans doute, la réponse à la lettre 19.
  2. La « petite Chéronnée », c’est dans le langage pédantesque de Roland, sa ville natale, Villefranche-en-Beaujolais. — de même qu’Amiens était « la Béotie ». — la Normandie « la Grèce », etc. — L’abbé Jean-Baptiste-Claude Pein, dont on voit que