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Vertu, liberté, n’ont plus d’asile que dans le cœur d’un petit nombre d’honnêtes gens ; foin du reste et de tous les trônes du monde ! Je le dirais à la barbe des souverains : on en rirait de la part d’une femme ; mais par ma foi, si j’eusse été à Genève, je serais morte avant de les en voir rire.


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[À ROLAND, À AMIENS[1].]
12 septembre 1782, — [du Clos.]

Eh, mon ami ! si je me laissais aussi entraîner au premier sentiment que me fait éprouver ta lettre, il ne me resterait donc plus qu’à gémir pour nous deux ? Que la sensibilité ne m’ait pas permis tous les calculs, je le veux ; de quoi donc est-il question ? D’examiner en quoi et de combien il nous faudrait être aidés. N’est-ce pas à toi, qui as lumières, expérience et sang-froid, à faire cela tranquillement sans jeter le manche après la cognée ! ’

Depuis que nous sommes a la maison[2], que tu vois de plus près la gestion de ton frère, que tu en apprécies les vices, tu souhaites d’ar-

  1. Ms. 6238, fol. 225-226.
  2. Il ressort nettement de la teneur de cette lettre que Madame Roland l’écrit du Clos, à son mari, à Villefranche. Ils firent donc, en septembre 1782 — probablement avec leur enfant — le voyage du Beaujolais, où l’enfant était fort désiré. Madame Roland, renvoyant à son mari une lettre du chanoine Dominique, le 28 décembre 1871, disait :« Tu aurais vu en premier lieu [si tu l’avais décachetée] qu’il me sait très bon gré de l’avoir fait oncle ; que notre maman grille de voir sa petite-fille et me fait recommander de la lui mener dès qu’elle sera transportable, etc… ». Et Roland de répondre le 31 décembre (ms. 6240, fol. 119-120) : « Laisse ta bonne maman se préocuper de l’idée de voir sa petite progéniture ; il y a loin d’ici ; et il ne faut pas un bien long intervalle pour lui laisser peu d’espoir… »

    Malgré le peu d’empressement que montre ici Roland, le voyage de Beaujolais eut lieu néanmoins, alors qu’Eudora n’avait que onze mois. Roland et sa femme allaient voir si le chanoine et sa mère étaient disposés à tenir les promesses qu’ils avaient faites quand ils espéraient que l’enfant serait un garçon, c’est-à-dire à céder la propriété ou du moins la jouissance et l’administration du Clos.