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À ROLAND [À PARIS[1]].
Jeudi au soir, 16 janvier 1783, — [d’Amiens].

Mes craintes sont trop justifiées ; tu as eu autant de fatigues et de contre-temps qu’il soit possible ; mais tu as passé mes espérances en me donnant de tes nouvelles malgré ce retard ; j’avais calculé que le courrier d’aujourd’hui ne m’apporterait rien si tu n’étais pas arrivé mardi, et j’attendais impatiemment son heure pour savoir si j’avais à me féliciter de ton voyage. Ton active tendresse s’occupe de ma satisfaction avant que tu prennes le repos dont tu avais si grand besoin ; j’en recueille le témoignage avec transport et j’y suis aussi sensible que s’il m’était nouveau. Tranquillise-toi, prends du temps, aie bien soin de ta santé et ne sois pas en peine de la mienne. L’effet de la médecine d’hier s’est prolongé dans l’après-midi, j’ai eu la nuit bonne et je souffre un peu moins de mon lait. M. d’Hervillez me fait prendre de la terre foliée de tartre, m’ordonne d’appliquer fréquemment des linges chauds, et d’éviter soigneusement le froid, très dangereux dans cette circonstance. Mes projets de sortie ne peuvent encore s’exécuter ; je suis un peu faible et le temps est horrible.

Je ne fais rien, qu’un peu de musique et des rangements de ménage ; je joue une partie du jour avec ma petite, qui est déjà venue ce matin sur mon lit après avoir déjeuné et qui s’y est jouée fort joliment. Elle aime encore sa mère et court ou crie après ses caresses, quoiqu’elle n’en ait plus le sein ; j’avais grand besoin de cette expérience et je craignais qu’elle ne fut plus attachée qu’à celle qui lui donnerait à manger. M. d’Eu m’a déjà fait deux longues visites, ainsi que M. de Bray et Flesselles ; tous font informer le matin et viennent eux-mêmes le soir. M. de B[ray] te prie de joindre à sa note d’acquisitions les Démons-

  1. Ms. 6238, fol. 234-235. — Au haut de la page à gauche : « M. de Laplatière ».