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demain d’un 4 de février, il y a trois ans[1] ; je ne sais pourquoi ni comment ; mais enfin il m’est acquis, et je m’appelle « loup » pour quelqu’un, comme peut-être vous vous appelez « mon bel ami » pour quelque discrète dont vous ne parlez pas non plus. D’après cela, jugez les gens sur leurs paroles ! N’aurait-on pas autant de raison de douter de ce qu’elles signifient, que Barkley[2] en avait de douter de l’existence des corps ? Mais vous avez autre chose à faire que lire des contes, et je puis mieux faire que d’en écrire.

La tranquille soirée d’hier vous a sans doute restauré. J’ai passé cette journée à travailler fort et ferme, comme je n’avais fait depuis longtemps.

Salut et joie.


73

[À BOSC, À PARIS[3].]
1er mars 1783, — d’Amiens.

En vérité, nous ne nous entendons avec personne pour vous taire nos nouvelles, et nous serions privés les premiers s’il fallait ne pas vous en donner. Vous aurez reçu un petit mot le même jour, je crois, que votre lettre nous est parvenue ; c’est bien nous qui l’attendions avec empressement et que votre écriture réjouit toujours. Je vous exprime nos sentiments communs, tandis que le cher malade, au coin de sa cheminée, s’appuie la tête et porte la main à son cœur que la tisane soulève horriblement. J’exposerai ci-après tout ce qui le concerne, car j’ai souvent de petites craintes, de légers doutes sur la continuation des remèdes quand j’en vois des effets un peu vifs, et je suis absolument dans le cas de ces ignorants qui, n’osant juger, demandent toujours avis. Ainsi le seigneur père[4] s’armera, s’il lui plaît, d’un peu de patience ; je sens qu’il a bien des gens à qui

  1. Madame Roland s’était mariée le 4 février 1780.
  2. Berkeley, l’évêque philosophe (1684-1753).
  3. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  4. Le « seigneur père », c’est le père de Bosc, le médecin Paul Bosc d’Antic. On voit ici et on verra par plusieurs de lettres qui suivent qu’il traitait Roland par correspondance.