Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela ; une âme généreuse le regrette d’autant plus, qu’elle le doit à quelque avantage extérieur : il lui serait, à quelques égards, plus facile de s’élever au-dessus d’une injustice formelle, que de vaincre le désagrément d’affliger ses alentours par une autre supériorité que la personnelle. Au reste, cette même disposition doit faire pardonner bien des avantages, et il est très rare que coin dont ne se prévaut pas le possesseur indisposent vivement l’amour-propre des concurrents. D’ailleurs, c’est malheureusement une des compensations de la société, que l’espèce de mécontentement de plusieurs de l’avancement d’un heureux, et, à cet égard, il faut bien prendre un peu son parti pour ce qu’on ne peut éviter.

L’ami vous écrit aujourd’hui une lettre qui vous sera remise par M. de Vin, dont le départ pour Paris est fixé à ce soir. C’est un excellent homme, vraiment honnête et sensible, auquel ses amis ne reprochent qu’une paresse qui l’empêche de développer tout ce qu’il vaut et d’user de tous ses moyens. Mais je lui reprocherais volontiers de s’occuper singulièrement d’une politique gazetière qui m’ennuie, et de laisser dormir tout ce qu’il sait de belle littérature que j’aime ; mais enfin chacun a son goût. Je suis bien aise que vous ayez tous ceux d’une âme saine, tous ceux qu’alimente une grande activité ; c’est autant de matériaux pour le bonheur et d’armes contre la mélancolie accablante, dont un naturel paresseux ne peut également se délivrer.


81

[À BOSC, À PARIS[1].]
19 avril 1783, — d’Amiens.

J’ai le cœur tout gros du sérieux avec lequel, vous nous exposez vos dispositions obligeantes, comme si nous eussions douté de votre amitié. Je n’ai pas eu d’autre intention que de faire une plaisanterie que j’ai plantée dans ma lettre tout en causant, comme il m’arrive de les écrire, mais je l’ai faite bien mauvaise assurément, puisqu’elle a pu me faire soupçonner d’une toute autre idée que celle que j’ai de vous. Peu s’en faut que je ne vous fasse une excuse aussi grave que votre

  1. Collection Alfred Morrison, 1 folio.