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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/370

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point et qui s’en rit. Le beau-frère prétend que, si sa belle-sœur le voulait, ce serait chose facile, et l’on voit que, dans l’idée qu’elle peut vouloir se marier, il pourrait aimer mieux celui-là qu’un autre parce qu’il ne fait pas craindre de donner des neveux. J’ai trouvé l’idée plaisante et l’affaire à conclure s’il y avait lieu. L’amie est convenue que ce serait se tirer fort honnêtement et en a pris quelque envie : mais le diable, c’est qu’elle n’a personne pour conduire l’affaire ; elle est sure que son frère[1] ne la favoriserait pas, par trente et une raisons ; elle ne sait à qui s’ouvrir, et besoin sera peut-être de voir passer le moment de pêcher ce poisson, faute de ligne pour le tirer. Je te conte notre petit chagrin, quoique je sache bien que tu n’y puisses rien, à moins que le premier des hasards du monde ne t’ait fait rencontrer quelques connaissances du vieux criminaliste qui n’aime pas Beccaria. Cependant elle doit causer avec le Guerd [Guérard] pour savoir de lui, qui croirait la chose possible, quel moyen il imaginerait.

Voilà qui peut faire pendant à l’histoire de Cucu ; cela nous a fait dire des folies qui nous ont fait abandonner une poule de trictrac commencée avec M. de Cayeux[2], et j’avais aux trois quarts gagné, moi mazette, par pure réminiscence.

Je n’ai toujours pas de cuisinière ; beaucoup de personnes sont à la campagne, c’est une affaire. Il n’est pas mal que tu ne sois point à la maison dans ce moment où le service languirait assez. La bonne se tire d’affaire pour la petite cuisine et je mange mieux depuis qu’elle ma la fait, car la mauvaise humeur de l’autre m’a fait faire des repas à la diable. Mes chères bouillies de fécule de pomme de terre, amères de brûlé sans être cuites, etc… Mais Caron arrive ; je m’interromps pour te lire.

Je te lis, je t’embrasse, je te demande pardon de mon chagrin d’hier ; je n’ajouterai rien, parce que je vais m’habiller aussitôt pour

  1. Sélincourt.
  2. M. de Cayeux. — Probablement M. Decaïeu, receveur des consignations au présidial (Alm. de Picardie de 1783, p. 38 ; cf. p. 25). — Probablement le même que M. Decaïeu, « procureur vis-à-vis de l’hôtel de Ville » (ibid, p.41). On trouve aussi M. Decaïeu, « Lieutenant de louveterie du Roi » (ibid, p. 63). Nous ne sommes pas en mesure de choisir.