Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/627

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la première entrevue, si je n’ai pas encore la plus petite notion de lui. En vérité, vous n’avez point de pitié d’une habitante de province dont l’imagination se refroidit tout naturellement par l’influence de ce qui l’entoure. Ce n’est pas que nos provinciales y fassent plus de façon que chez vous ; mais moi je trouve nos provinciaux bien plats, et quand je n’aurais pas déjà été sage par habitude et par principes, je le serais devenue par dégoût et pis-aller. De bonne foi, il ne vaudrait pas la peine ici de perdre l’honneur du champ de bataille. Aussi j’ai pris mon allure, et votre merveilleux ne m’en fera pas changer ; tant pis pour lui s’il n’est pas content. Mais si c’est un homme de diligence, votre annonce sera sans doute inutile : cette voiture ne laisse point de relâche ; s’il en est autrement, je compte sur quelque bonne espèce à votre manière.]

Parlons d’affaires. L’ami regrette beaucoup que vous ayez fait accepter la lettre de change ; il craint d’en perdre les six louis en question pour lesquels il vous avait renvoyé la lettre de Panckoucke. C’était une affaire à traiter avec lui verbalement et à terminer tout d’une avec la lettre de change. Veillez à cela, car cette petite différence ne nous est pas tout à fait indifférente.

Je ne sais pas encore trop bien ce qu’il faudrait conseiller à Lanthenas ; il a toujours eu, en homme sensible et raisonnable, quelque penchant au mariage ; peut-être faudrait-il qu’il s’établît docteur en quelque ville de province, où il pourrait trouver une fille honnête dont la fortune, réunie à sa petite légitime, lui fit une existence agréable et sûre.

Puisqu’il a quelque chose et que Williamos[1] est parti, et qu’enfin il n’est pas, à beaucoup près, de cette santé ni de ce caractère propres aux grandes entreprises, je doute qu’il fît bien d’aller en Amérique.

Nous y rêverons encore. J’espère l’avoir à la campagne, où nous

  1. Williamos était un Américain, de la province de New-York, que Lanthenas avait vu à Paris en septembre 1784, au moment où il venait d’être reçu docteur, et qui lui avait offert ses services pour aller s’établir en Amérique (lettre indédite de Lanthenas à Bosc du 24 décembre 1784, collection Alfr. Morrison).