Que faut-il penser, mon ami, de votre sort ou du nôtre ? Je veux dire des changements qui se seront faits dans votre partie, ou de votre peu d’empressement à nous faire part de ce qui vous concerne[2]. Ne nous supposez-vous plus assez d’intérêt à cet égard pour ne plus vous croire obligé de nous instruire ? Eh ! sur quoi serait fondée une erreur aussi injurieuse à notre amitié ? Je ne puis y croire. Comment donc expliquer votre silence ? Certainement, d’après ce que vous nous aviez déjà fait entrevoir, vous devez savoir depuis quelque temps à quoi vous en tenir sur les révolutions qui ne pouvaient vous être indifférentes.
S’il en est résulté quelque chose de fâcheux, pourquoi votre âme ne s’est-elle pas épanchée au sein de vos amis ? S’il en est autrement, comme je suis portée à me le persuader, comment avez-vous le courage de nous laisser dans l’incertitude ?
Enfin, quoi qu’il y ait et comme que vous soyez, écrivez-nous, et ne nous mettez pas dans la nécessité pénible de chercher les causes d’un silence dont l’amitié ne saurait s’accommoder.
Quand nous serons tranquilles sur votre compte, donnez-nous quelques nouvelles de votre capitale et du cardinal[3], dont on ne sait plus que dire en province. Je vous recommande toujours les notices sur le feu duc d’Orléans, dont on attend ici l’oraison funèbre, dont l’auteur à son tour attend vos renseignements.
Eudora grandit assez et commence un peu à lire ; son père est fort occupé en ce moment. Nous vous embrassons tous et vous demandons à grands cris nouvelles de vous, de votre état, de vous encore et de vous par-dessus tout. Adieu : n’oubliez donc pas de bons amis qui, par leur trempe et leur situation, ne sont pas faits pour changer jamais dans les sentiments qu’ils vous ont voués.