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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/934

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philosophie a étendu la connaissance des droits et des devoirs de l’homme, nous serons citoyens sans être les ennemis des malheureux qui ne partagent pas les bienfaits de notre patrie.

Lyon a subi un changement depuis notre départ : la réclamation générale du peuple a forcé la municipalité de prononcer l’abolition des octrois[1] ;. il n’y avait plus que ce moyen de conserver l’industrie dans une ville qui n’existe que par elle. De sages administrateurs l’auraient prévu et se seraient fait un mérite de la chose. On avise aux moyens de remplacement, et l’impôt sur les loyers paraît entraîner le consentement universel.

Notre ami prêchait depuis longtemps contre ces octrois désastreux[2], et la voix de la vérité, toute perdue qu’elle paraisse dans la foule, finit par opérer des changements inattendus.

Mais il n’y aurait qu’un seul et puissant moyen d’influer à Lyon, d’y régénérer les esprits, ce serait d’y élever une imprimerie patriotique ; nous l’avions bien senti ; nos seconds sont trop lents ou trop lâches, et nous ne pourrons soulever le fardeau à nous seuls.

Je ne sais si la nomination des juges obligera bientôt notre ami de retourner dans cette ville ; jusque-là nous n’avons de projets que pour notre domaine et les travaux de cabinet, et déjà notre existence s’est modifiée suivant notre situation. Redevenus fermiers, nous rendons aux soins agraires et domestiques l’activité que nous donnions aux spéculations politiques. Cependant j’avoue qu’à mon arrivée la campagne m’a paru triste ; les fleurs du printemps sont passées, celles de l’automne ne sont pas encore venues, et l’été de ce climat n’a que des ardeurs stériles. Nous n’avons point de ces grandes scènes champêtres, de ces lieux romantiques,


Where heav’nly pensive Contemplation dwells
And ever musing Melancholy reigns[3].


Le pays est austère, sans majesté ; le sol y est dur et ingrat ; c’est la retraite du sage laborieux qui se fait un bonheur sévère et qui embellit son

  1. C’est le 8 juillet que la municipalité avait décidé l’abolition des octrois. Roland avait quitté Lyon la veille, pour ne pas assister à la séance, dirent ses ennemis. Nous avons vu qu’il avait conduit Bancal au Clos.
  2. Voir Dict. des manuf., t. II, Supplément, p. 35 et suiv. art. Bonneterie, écrit en 1786 et 1787 et mis à l’impression en 1788. — Voir aussi la brochure de Roland, Municipalité de Lyon ; aperçu des travaux à entreprendre, Lyon (janvier) 1790.
  3. Pope, Ép. d’Héloïse à Abélard, v. 2-3,