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À LANTHENAS. [À PARIS[1].]
11 août 1790, — [du Clos].

J’imagine, mon bon frère, que la première des vôtres nous apprendra le jour de votre départ de la capitale, de cette ville de boue et de fumée qui était devenue le plus brillant théâtre du patriotisme et qui me semble rentrer dans une atmosphère embrumée.

C’est peut-être bien un moment où il est intéressant que les bons citoyens se liguent, s’unissent et réclament plus que jamais pour soutenir les bons principes. Je meurs de peur que la liberté de la presse ne reçoive des atteintes mortelles ; si elle est gênée, nous redescendrons plus bas que les Anglais, au-dessus desquels nous nous étions élevés.

Vous n’aurez point, cette fois, de détails de ce qui se passe à Lyon ; je n’en sais pas le plus petit mot depuis que je suis revenue, et, en vérité, ce n’est pas sans quelque plaisir que je me trouve concentrée dans les soins champêtres. Venez participer à ce doux oubli des querelles des humains.

Je suis bien aise que Brissot ait eu le noble courage de soutenir son dire même contre l’heureux Bailly[2] ; mais je n’aime pas à voir que la continuité de ce personnage en place menace sourdement la liberté, les habitudes, les principes qui la maintiennent, en même temps que votre général lève le masque et tranche de l’arbitraire.

J’aurais mille et mille choses à vous dire, mais, dans l’espérance de vous voir bientôt, je n’ai plus le courage de les écrire.

N’oubliez pas les deux volumes dont je vous ai parlé pour notre ami ; vous aurez reçu, sans doute, le gros assignat qu’il a été obligé de vous renvoyer parce qu’il ne se trouvait pas en règle.

  1. Ms. 6241, fol. 231-232.
  2. Bailly venait d’être réélu maire de Paris (2 août) par 12,000 voix sur 14,000 votants, et Brissot, dans le Patriote du 5, avait fait sur ce choix de fortes réserves que Camille Desmoulins avait reproduites (n° 36).