Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/984

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Aussi, tandis qu’en parlant de rester où vous êtes si la patrie l’exige, vous fixez le jour de votre départ, de même après vous avoir dit de ne pas venir si vous ne le devez point, je ne cesse de m’informer du moment où vous vous mettrez en route. Cela prouve que nous avons autant d’envie de vous recevoir que vous en avez d’arriver, à moins que de sévères obligations n’y mettent empêchement, ce qui est bien. Et ce qui est mieux, c’est que je pense avec vous que rien ne s’y oppose.

Arrivez donc ! Celui qui, après les trois premières années de son séjour dans la capitale, désirait si vivement de la quitter pour se renfermer dans la solitude, avait dès lors l’âme et les mœurs qui doivent lui mériter des amis dévoués et invariables. J’espère que vous les avez trouvés, et si leur tendre attachement peut influer sur votre destinée, elle deviendra ce qu’elle doit être. Nous nous entretiendrons d’elle, ce sera le plus cher objet de nos conférences.

Si vous aviez cru au projet de nos amis, je veux dire à son exécution facile, j’aurais cessé de le regarder comme une chimère et j’en aurais été bien aise, car, sans doute, l’effet en serait salutaire. Mais n’entamons pas des chapitres que nous pourrons traiter à loisir ; il me semble que je deviens avare en vous écrivant et que l’idée de causer bientôt à l’aise m’ôte la faculté d exercer ma plume.

Avant-hier mercredi, ou mardi soir, on a exécuté à Lyon deux hommes du peuple convaincus d’avoir agi dans l’insurrection ; vers le même temps, il est entré dans cette ville le régiment de Lamark et un régiment suisse. C’est à l’époque de la pendaison et à celle de l’arrivée de ces troupes qu’on a dû substituer le drapeau blanc à celui qui annonce la guerre et le sang. Je trouve dans ces rapprochements contrastants quelque chose d’atroce qui me fait horreur. On ne parle toujours point du rétablissement des barrières, et la ville est tellement approvisionnée de bois et de vin que de longtemps il n’y aura de droits à percevoir sur ces objets, les deux plus considérables pour l’imposition. Le régiment de Monsieur, qu’on dit être généralement, pour les soldats du moins, dans des dispositions patriotiques, n’est point à Lyon, mais dans les environs ; il en doit être de même de plusieurs autres qu’on attend et dont on porte le nombre très haut. Cet appareil de force en impose à un peuple ignorant et avili ; partie de la garde nationale s’en réjouit, parce qu’elle y voit un soulagement dans le service qu’elle faisait lâchement et avec inexactitude.

Il y avait eu quelques sourdes rumeurs sur la réclamation à faire contre le désarmement d’un quartier ; elles se sont assoupies ; il en a été de même des