Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XIII

NOTRE PROCHAIN, L’ENNEMI

15 mars 1915.


Tandis que l’ouragan de la guerre continue de faire rage, déracinant les âmes les plus fermes et les entraînant dans son tourbillon furieux, je continue mon humble pèlerinage, cherchant à découvrir sous les ruines les rares cœurs restés fidèles à l’ancien idéal de la fraternité humaine. Quelle joie mélancolique j’ai à les recueillir, à leur venir en aide ! Je sais que chacun de leurs efforts, comme les miens, chacune de leurs paroles d’amour soulève et retourne contre eux l’inimitié des deux camps ennemis. Les combattants aux prises sont d’accord pour haïr ceux qui refusent de haïr. L’Europe est devenue telle qu’une ville assiégée. La fièvre obsidionale y règne. Qui ne veut point délirer comme les autres est suspect. Et dans ces temps pressés où la justice ne s’attarde point à étudier les procès, tout suspect est un traître. Qui s’obstine à défendre, au milieu de la guerre, la paix entre les hommes, sait qu’il risque pour sa foi, son repos, sa réputation et ses amitiés mêmes. Mais que vaudrait une foi pour qui on ne risque rien ?

Certes, elle est mise à l’épreuve en ces jours