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INTER ARMA CARITAS

magne semble atteinte d’une exaltation morbide, d’une folie collective, sur laquelle aucun remède ne peut agir que le temps. Si l’on en croit l’observation médicale pour des cas analogues, ces formes de délire sont à évolution rapide et suivies subitement de profondes dépressions. Il s’agit donc d’attendre, en se garant le mieux possible de la démence d’Ajax.

Attendons. D’ici là, Ajax s’est chargé de nous tailler de la besogne. Que de ruines autour de nous ! Secourons les victimes. Certes, nous pouvons bien peu. Dans la lutte éternelle entre le mal et le bien, la partie n’est pas égale : il faut un siècle pour construire ce qu’un jour suffit à détruire. Mais aussi, la fureur aveugle n’a qu’un jour, et le patient labeur est le pain de tous les jours. Il ne s’interrompt pas, même aux heures où le monde semble sur le point de finir. Sous l’entrecroisement des bombes des deux armées, les vignerons de Champagne récoltent leur vendange. — Et nous, faisons la nôtre ! Elle réclame les bras de tous ceux qui sont en dehors du combat. Il me semble notamment que pour ceux qui continuent d’écrire, il y aurait mieux à faire qu’à brandir une plume sanguinaire et, assis devant leur table, à crier : « Tue ! Tue ! » Je trouve la guerre haïssable, mais haïssables plus ceux qui la chantent sans la faire. Que dirait-on d’officiers qui marcheraient derrière leurs soldats ? Le rôle le plus digne de ceux qui viennent par derrière est de relever