Page:Rolland - Au-dessus de la mêlée.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

74
AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

le plus d’éclat les lettres françaises dans l’univers, Maeterlinck et Verhaeren, sont Belges. C’est le peuple qui a le plus souffert et le plus vaillamment, le plus gaiement supporté, le peuple martyr de Philippe II et du Kaiser Wilhelm ; et c’est le peuple de Rubens, le peuple des Kermesses et de Till Ulenspiegel.

Qui connaît l’étonnante épopée, reprise par Charles de Coster, les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedjak, ces deux gaillards de Flandre, dignes de marcher de pair avec l’immortel Don Quichotte et son Sancho Pança, — qui a vu à l’œuvre cet indomptable esprit, rude et facétieux, révolté de nature, frondant toutes les puissances, passant par le cerceau de toutes les épreuves, et en sortant toujours guilleret et riant, — celui-là connaît aussi les destinées du peuple qui enfanta Ulenspiegel, et il regarde sans crainte, même aux heures les plus sombres, l’aurore prochaine de richesse et de liesse. La Belgique peut être envahie. Le peuple belge ne sera jamais ni conquis ni soumis. Le peuple belge ne peut mourir.

À la fin du récit de Till Ulenspiegel, alors qu’on le croit mort et qu’on va l’enterrer il se réveille :

« Est-ce qu’on enterre, dit-il, Ulenspiegel l’esprit, Nele le cœur de la mère Flandre ? Dormir, soit, mais mourir, non ; viens, Nele ! »

Il partit en chantant sa sixième chanson. Et nul ne sait où il chanta sa dernière.