Il savait l’importance de l’œuvre qu’il édifiait. Car, bien que du premier jet il en eût conçu et dessiné les grandes lignes 1. avec une sûreté foudroyante, il la garda deux ans avant de l’achever, trois ans avant de la communi quer au public. Aucune de ses sonates n’atteint à un tel degré de logique serrée dans la passion effrénée. Il faut aller jusqu’à Tristan, pour trouver un pareil torrent de feu dans un lit de granit. L’œuvre — corps et esprit — est un tissu indestructible.
Si jamais musique a mérité ce nom à’Appassionala
— que Beethoven ne lui a point donné — c’est bien cellelà. Et pourtant, Czerny n’a pas tout à fait tort de le lui 11. Les premières esquisses apparaissent dans un Cahier de 1804, au milieu du travail pour le deuxième acte de Leonore. On les trouvera dans la Zweite Beelhoveniana de Nottebohm, p. 437-442. J’ai rappelé déjà, d’après Ries, que le thème du dernier morceau fut trouvé, bourdonné, ou braillé — (u liatle er den ganzen Weg ilber für sich gebrummt oder leilsveise geheull, immer herauf und herunler, ohne beslimmle Nolen zu singsn »), — pendant une promenade autour de Dôbling, dans l’été de 1804, et qu’à peine rentré, Beethoven courut au piano et, le chapeau sur la tète, il broya les notes sous l’avalanche. — Cependant, d’après Schindler, il acheva de l’écrire, pendant un court séjour d’été 1806, en Hongrie, chez son ami, le comte Franz Brunsvik, à qui l’œuvre est dédiée. Il avait le manuscrit sur lui, lorsqu’en octobre 1806, il s’enfuit furieusement du château du prince Lichnowsky, en Silésie. Une pluie diluvienne le transperça. De retour à Vienne, il montra à Mme Bigot le manuscrit encore mouillé, qu’elle joua sur le champ ; il lui en fit présent. On sait que, par la suite, ce manuscrit, sur lequel se voient encore les traces de pluie, est devenu la propriété de la Bibliothèque du Conservatoire de Paris. — L’œuvre parut à Vienne, en février 1807, comme « LIVe Sonate composée pour Pianoforle, op. 57 », avec la dédicace : « à monsieur le Comte François de Eru ?isoik. »