Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/24

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c’est lui qui nous entraîne. Notre lot le plus beau est de le contempler et d’en étreindre les lois, avec une religieuse et virile volupté.

Sourions de la naïveté de ces nouveaux-venus qui, comme nous, liés à la roue du temps qui tourne, s’imaginent que seul le passé passe, et que l’horloge de l’esprit s’arrête à leur midi ! Ces jeunes générations, qui nourrissent l’illusion que la formule nouvelle efface pour toujours les formules anciennes et ne sera elle-même point effacée, ne voient pas que, tandis qu’ils parlent, la roue tourne et qu’autour de leurs jambes s’enlace déjà l’ombre du passé.

Élevons-nous au-dessus de ce royaume des ombres ! Tout passe. Nous le savons. Nous et vous. Ce en quoi nous croyons. Et ce que nous nions. Les soleils meurent aussi.

Mais, des milliers d’années, leur torche, dans la nuit, continue de porter son message. Et, des milliers d’années, nous sommes éclairés par ces soleils éteints.

Je viens réchauffer mes yeux, une dernière fois, au soleil de Beethoven. Je veux dire ce qu’il fut pour nous — pour les peuples d’un siècle. Je le sais mieux aujourd’hui qu’au temps où je lui chantais un hymne d’adolescent. Car, en ce temps, sa lumière nous pénétrait, unique.

Aujourd’hui, le heurt qui s’est produit entre deux âges humains, que la guerre a bien moins séparés qu’elle n’a été entre eux la borne au carrefour, où tant de coureurs se sont brisés, a eu cet avantage qu’il nous a fait prendre la pleine conscience de nous, de ce que nous sommes, et de ce que nous aimons… J’aime. Donc je suis. Et je suis ce que j’aime…