Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/32

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ces tempêtes de l’équinoxe, annoncent qu’une antique société se décompose, qu’une autre se reforme. Et devant que la nouvelle puisse être constituée, c’est l’homme-individu qui doit s’émanciper. La revendication de l’individualisme révolté est à la fois indice et fourrier de l’Ordre à venir. Chaque chose en son temps ! Le Moi, d’abord. Après, la Communauté.

Beethoven appartient à la première génération de ces jeunes Goethe d’Allemagne (moins différents qu’on ne croit du vieux Lynkeus !)[1], à ces Christophe Colomb qui, lancés dans la nuit, sur la mer orageuse de la Révolution, ont découvert leur Moi et le conquièrent avidement. Les conquérants abusent. Ils sont affamés de prendre. Chacun de ces Moi libres veut commander. S’il ne le peut en fait, il le veut en art. Tout lui est un champ où déployer ses bataillons de pensées, ses désirs, ses regrets, ses fureurs et ses mélancolies. Il les impose. Après la Révolution, l’Empire. Beethoven les porte tous les deux sous sa peau. Et leur cours dans ses veines est la circulation du sang même de l’histoire. Car, ainsi que la Geste impériale, qui dut attendre Hugo, pour trouver un poète digne d’elle, a, dès les symphonies de Beethoven, avant 1815, inspiré son Iliade, — ainsi, quand est tombé l’homme de Waterloo, Beethoven imperator abdique, lui aussi ; il s’exile, comme l’aigle sur son roc, dans un îlot perdu au milieu de la mer, — plus perdu que l’îlot dans l’océan d’Afrique : car il n’entend même plus les vagues qui se brisent contre le rocher. Il est muré. Et lorsque, du

  1. Un des derniers chants du vieux Goethe, dans le Second Faust.