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Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/46

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BEETHOVEN

rappelle Trianon. Mais qu’ils sont supérieurs, par le goût et la culture, à leur princesse en exil, à la fille de leur Marie-Thérèse, ces grands seigneurs de Vienne, au seuil du nouveau siècle ! Jamais une aristocratie n’a aimé d’une passion plus entière la beauté de la musique, n’a témoigné plus d’égards à ceux qui en apportent le bienfait aux mortels. On dirait qu’elle cherche à se faire pardonner l’abandon de Mozart, jeté à la fosse commune. En ces années qui vont de la mort du pauvre Wolfgang à celle de Haydn, l’aristocratie de Vienne s’incline devant l’art, fait la cour aux artistes ; elle met son orgueil à les traiter en égaux.

Le 27 mars 1808 marquera l’apogée de cette consécration, le couronnement royal de la musique. À cette date, Vienne fête le soixante-seizième anniversaire de Haydn. La haute aristocratie, mêlée aux musiciens, attend, à la porte de T Université, le fils du charron de Rohrau, qui arrive dans le carrosse du prince Esterhazy. Elle le porte dans la salle, au fracas des trompettes, des timbales et des acclamations-Le prince Lobkowitz, Salieri et Beethoven, viennent lui baiser la main. La princesse Esterhazy et deux grandes dames se dépouillent de leurs manteaux, pour en entourer les pieds du vieillard, qui tremble d’émotion. Le délire de la salle, ces cris, ces larmes d’enthousiasme, sont plus que n’en peut supporter l’auteur de la Création. Il s’en va, en pleurant, au milieu de son oratorio, et, du seuil de la salle, il bénit Vienne…

Un an après, les aigles de Napoléon se sont abattues sur Vienne ; et Haydn, mourant dans la ville occupée, emporte au tombeau le vieux monde.