Aussi, cette musique pour clavier et pour orchestre de chambre — (car ce fougueux génie a eu la rare patience de n’entreprendre la conquête[1] de la grande symphonie qu’a près qu’il eut soumis tout le domaine de la Kammermusik) — jouit d’une popularité sans exemple. Avant trente ans, il est reconnu le plus grand de tous les compositeurs pour clavier ; et, pour le reste, on ne lui donne comme égaux que Mozart et Haydn. Dès les premières années du siècle, on le joue dans toute l’Allemagne, en Suisse, en Écosse, à Paris (1803). A trente ans, il est déjà le vainqueur de l’avenir.
Et maintenant, voyez-le, le vainqueur, ce Beethoven de trente ans, grand virtuose, artiste brillant, qui est le lion des salons, qui fascine la jeunesse, qui suscite des transports, et qui déprécie ce monde élégant, vibrant, raffiné, mais qui en a besoin — (il y a toujours vécu, depuis qu’il était, enfant, un petit Hofmusicus ; quand il sort de son pauvre foyer familial, ou maintenant à Vienne de sa garçonnière mal tenue, c’est toujours pour respirer l’atmosphère la plus aristocratique de l’Europe et son enivrement) — le Beethoven dont la bonne princesse Lichnowsky a patiemment poli les mauvaises façons, et qui affecte de mépriser la mode, mais qui porte le menton haut sur sa belle cravate blanche à triple enroulement et surveille du coin de l’œil, orgueilleux, satisfait (tout de même un peu inquiet), l’effet
1. La conquête publique. Car il est maintenant démontré que le jeune Beethoven avait secrètement, pendant dix ou quinze ans, essayé toutes les formes de son art, avant de livrer au public sa première symphonie.
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