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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/131

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LE SILENCE DE GŒTHE

Mais il y a plus ; et il me faut reprendre le récit de cette tragique année 1823, où Beethoven, harcelé par le destin, venait en vain frapper à la porte de Gœthe, dans cette humble lettre que j’ai citée, sans que Gœthe, en proie à l’amour et à la mort, parût l’avoir entendu. Je n’ai pas, dans mon premier tableau, suffisamment encore mis en lumière le pathétique de ces mois de Wehmut infinie, où « tout semblait perdu » pour Gœthe, où oc lui-même s’était perdu 1 ». Comme si le sort s’était ingénié à faire plus dérisoire le malentendu qui rendit Gœthe sourd à Beethoven, jamais le cœur de Gœthe ne fut plus accessible à la musique et livré à ses émotions qu’en cette année, précisément, où il laissa Beethoven à sa porte !

Son amour de septuagénaire pour la petite Ulrike de dix-neuf ans n’est qu’un des indices de la fièvre qui consume alors son être. À Marienbad, cette fièvre s’alimente dans la musique. A aucune époque de sa vie, l’art des sons n’a exercé sur lui une aussi terrassante domination. Il en est lui-même éperdu. Deux femmes, deux grandes artistes, bien plus que l’inofîensive Ulrike, font frémir le vieux cœur : c’est la Leonore de Bcetho- 1. *...Mir ist dus AU, ich bin mir selbst verloren, Der ich noch erst den Gàttern Liebling war, Sic trennen mich, und richtcn mich eu Grundt. » (Élégie de Marienkad, été 1523)