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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/234

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GŒTHE ET BEETHOVEN

à peu pénétrer par leur charme ; et sa saine nature, franche et spontanée, se trouva séparée de la pruderie malveillante des cercles de Cassel qui manifestaient leur dégoût pour les vulgarités d’Egmont et les « fadeurs » du poète. Mais cette innocente attraction poétique n’eut aucun caractère personnel, jusqu’au jour de juin 1806, où, habitant à Ofîcnbach, dans la maison de famille, elle mit la main sur quatre-vingt-quatre lettres de Gœthe à sa grand’mère Sophie La Roche, écrites entre 1772 et 1775, et remplies de l’amour du jeune homme pour sa mère.

Cette révélation eut sur la jeune fille un effet foudroyant. Elle recopia cette correspondance entière, plusieurs fois ; (une de ces copies a passé aux enchères, dernièrement). Elle se l’incorpora. Et cette rêveuse passionnée, dont les yeux ardents savaient si bien pourtant boire les beautés du monde, porta dès lors en son cœur le cœur de la jeune morte que Gœthe avait aimée. Il y a là un phénomène de hantise, beau, touchant et dangereux, qui relève de la science, et que rien n’a pu effacer. Le 21 octobre 1809, elle écrivait à Gœthe, dans un état de douloureux enivrement :

« Je crois vraiment que je l’ai hérité (ce sentiment) de ma mère ; elle doit t’avoir bien connu (erkannt), elle doit t’avoir possédé (genossen), alors que je devais venir au monde... »

Que n’a-t-elle dû se figurer ? Qu’elle était la